Libraires et écrivains québécois
Le 29 novembre 1901, le journaliste et linguiste Sylva Clapin (1853-1928), originaire de Saint-Hyacinthe et membre de la rédaction du journal La Patrie, prononce une conférence au Monument national, à Montréal, sur les métiers de libraire et d’écrivain. Clapin est l’auteur du Dictionnaire canadien-français publié en 1894. De 1880 à 1889, il fut libraire-éditeur à Paris.
Le journal La Patrie fait écho à cette conférence, le lendemain, 30 novembre.
Du commencement à la fin, l’intérêt a été soutenu et manifeste, et de fréquents applaudissements sont venus à diverses reprises témoigner au conférencier qu’il avait touché la note juste. Dans un style imagé, semé ça et là d’anecdotes et de détails pittoresque, M. Clapin s’attache à faire remarquer que la librairie est une véritable profession qui demande des aptitudes et des connaissances particulières, ne pouvant s’acquérir qu’en y consacrant plusieurs années.
N’entre pas qui veut dans ce cénacle. Mais aussi, pour le libraire qui s’est enfin rendu maître de sa profession, que de jouissances il en retire, et de quelle considération ne tarde-t-il pas à être entouré pour le rôle considérable qu’il joue dans l’essor intellectuel de son pays.
M. Clapin, pour rester dans l’actualité, nous a parlé des livres d’étrennes, qui vont bientôt, dans quelques jours, faire l’objet de toute notre admiration aux étalages des libraires, et il nous a exposé magistralement que les plus hautes sommités littéraires ne dédaignaient pas d’écrire de ces sortes de livres. Autrefois, il n’en était pas ainsi, et l’on se contentait de tout. Ce temps-là est passé depuis que Jules Verne, avec ses histoires si attachantes d’intérêt, a frayé lui-même les voies. Aujourd’hui, c’est toute une pléiade littéraire qui écrit pour les jeunes, et le beau livre d’étrennes, dans sa robe de toile multicolore et dorée sur ses tranches, ne ment pas à son étiquette. Ce livre est l’un des plus beaux cadeaux que l’on puisse faire, et on en a pleinement pour son argent.
Dans la seconde partie de sa conférence, M. Clapin nous a parlé des gens de lettres, en s’attachant de préférence à exposer ce que cette carrière pouvait offrir de chances de réussite au Canada. Selon lui, la grande voie du succès, en ce sens, est de gagner nos libraires à pouvoir pénétrer une bonne fois en France avec leurs livres. Nous parlons ici la même langue que quarante millions d’Européens.
Pourquoi donc nous restreindre à n’écrire que pour nos gens ? Mais encore faut-il, pour réussir, une condition primordiale. Il faut que nos auteurs canadiens cessent de s’absorber, autant comme ils le font d’habitude, dans les auteurs venus de France, surtout les contemporains, et qu’ils tentent de redevenir eux-mêmes.
À cette seule condition, pouvons-nous espérer qu’il se dégagera de nous, l’un de ces jours, une forte originalité, qui est le critérium par excellence où se reconnaissent les bons écrivains.
Tel est, en quelques mots, le résumé de cette remarquable conférence, laquelle ne sera pas, croyons-nous, la dernière, car plusieurs personnes ont exprimé dès hier soir à M. Clapin le désir de le voir continuer à faire ainsi part au public, à époques régulières, de ses études et de ses connaissances.
Source de l’illustration : Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Collection initiale, Cote : P600, S6, D3, P45. Il s’agit ici de la librairie J. E. Mercier, Côte du Passage, à Lévis, éditeur du journal Le Quotidien, de Lévis. Photographie prise vers 1910.