Parlons mode automnale
Voilà que le journal Le Soleil, à Québec nous entretient, dans un texte non signé, de ce qui sera à la mode pour les dames au cours de l’automne 1905. Il faut savoir que, dans les villes du Québec, deux fois par année, en mars et en septembre, les magasins de vêtements pour dames présentent dans leurs vitrines ce qu’ils appellent des expositions de mode. Qui donc se laissera tenter ?
Le 30 septembre 1905, Le Soleil, dans un article intitulé Courrier de la mode, nous parle, madame, de ce qui s’annonce. Mais attention, ça semble complexe. Nulle dame de condition modeste pourrait arriver à se conformer à un semblable code vestimentaire. À moins d’être fine couturière, et encore lui faudrait-il trouver les tissus. Plongeons.
Octobre, c’est la fin des excursions, des fêtes champêtres. La campagne se dépouille de ses charmes. Pour beaucoup, c’est la rentrée, mais des villégiatures se prolongent encore. On s’attarde volontiers en cette demi-saison aux jolis crépuscules avec ce sentiment très humain qui fait qu’on s’attache aux choses qui vont finir…
La mode suit la saison même insensiblement entraînée vers les brumes prochaines. Les tissus se font plus sombres, plus lourds. Ils empruntent leurs reflets aux feuillages d’automne; nous retrouvons en eux des nuances mortes, très atténuées où le bronze vert domine presque exclusivement. Tout est au genre tailleur, surtout les tissus sur fond drap à effet de rayures et de carreaux; les carreaux dominent.
Les fabricants sont arrivés à rénover les teintes prune et violine qui effraient souvent par leur aspect un peu vieux, mais ils ont obtenu un prune indéfinissable, fondu qui ne saurait nous déplaire. Puis des grisailles flottant entre le gris et le beige, tous castor et chamois habituels et beaucoup de fantaisies, parmi lesquelles des lainages à larges carreaux Madras ombrés de coloris particuliers : bordeaux foncé allant au bois de rose pâle; gris fer allant au gris argent, bleu paon allant à la turquoise, vert bronze art nouveau dégradé jusqu’au jaune imprécis, baptisé Chartreuse. […]
J’ai déjà parlé des tissus anglais; les derniers lancés gagnent en finesse sur ceux qui les ont précédés. Les écossais ont leurs carreaux estompés sans aucune ligne précise; une préférence s’accentue pour le vert et bleu, le prune et vert, un vert toujours adouci aux reflets cendrés. Le marron lui-même devient légèrement verdâtre et on fait dans cette teinte nouvelle des étoffes, fond drap, à rayures ou carreaux noirs imperceptibles, sorte de mosaïque fondue par le tissage.
Les lainages zibeline à longs poils sont complètement délaissés cette saison; le classique drap uni garde toujours une faveur méritée. En confection, nous le retrouvons avec des teintes qui sembleraient étranges si elles n’étaient modérées par l’usage qu’on sait en faire : vert souffre, loutre cuivré, beaucoup de vieux rose, depuis le ton pastel jusqu’à la nuance rose séchée.