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La grosse gerbe

Pour la partie des récoltes traditionnelles estivales au Québec dans mon ouvrage Les Quatre Saisons dans la vallée du Saint-Laurent, j’avais si hâte de voir si un auteur faisait écho à la grosse gerbe, celle de blé, après l’avoine, l’orge, le sarrasin et le seigle. En Europe, certaines familles se livraient alors à un rite que l’on disait remonter aux temps préhistoriques : la rentrée triomphale de la dernière gerbe.  De manière plus immédiate, on signalait cette tradition en France.

Et enfin l’écrivain québécois Léon-Pamphile LeMay, originaire de Lotbinière, en donnait les détails, dans Fêtes et corvées en 1898.

Il ne reste plus qu’une gerbe à faire, c’est la dernière, c’est la grosse gerbe. Tous les travailleurs redoublent de zèle. Deux harts des plus longues lui font une ceinture qui fait gémir sa taille souple. On la met debout; on noue des fleurs à sa tête d’épis et des rubans à sa jupe de paille. Puis, en se tenant par la main, l’on danse autour des rondes alertes. On épuise le répertoire des vieux chants populaires et l’on remplit le ciel de rires, de murmures, de cris. Enfin la gerbe est placée au milieu d’une grande charrette, tous les moissonneurs s’entassent alentour et le cheval, orné de pompons, se dirige à pas lents vers la grange.

En 1926, dans Vieilles choses, vieilles gens, Georges Bouchard complétait cette journée avec une évocation de la fête qui suivait.

Les douces odeurs et les éclats de rire qui courent à la rencontre des retardataires annoncent déjà que la fête est commencée. On se précipite vers les tables où attendent les voisins, sans prendre la peine de changer de toilette. Aux jeunes fermières qui s’excusent, les vieux rétorquent : « Ce n’est pas le temps de vous mettre sur votre trente-six; ne fafinez pas pour vous mettre à table, car on fête la grosse herbe en habit d’ouvrage. . .  » La mère s’est encore surpassé par ses exploits culinaires. Les beignets aux pommes, les tartes à la merluche, les crèmes fouettées ferment la voie largement tracée par la soupe aux pois, les patates jaunes, les viandes rôties et les omelettes au jambon.  Souvent la citrouillette, espèce de compote de citrouille, met le bouquet au festin avec encore une petite larme de rhum. Une petite sauterie familiale, cotillon, salut de dames ou quadrille, couronne la fête. Danseurs et violoneux savent prouver que les rudes travaux champêtres n’ont pas tari la source de leurs énergies. Toutes les fatigues sont noyées dans le plaisir, l’allégresse règne partout.

Léon-Pamphile LeMay avait publié son texte sur la grosse gerbe en 1898. En 1904, il y reviendra dans son recueil de sonnets Les Gouttelettes.

La grosse gerbe

 C’est la serrée enfin, le grain est javelé.

Béni le front soumis que la sueur arrose !

La lumière s’étend comme une nappe rose

Sur le moissonneur humble et le champ nivelé.

 

Chaque automne, chez nous, on a renouvelé

Cette fête où jamais aucun front n’est morose.

Aux rustiques beautés, alors, plus d’un gars ose

Faire un aveu que l’œil a déjà révélé.

 

Il faut avec deux harts lier la grosse gerbe.

Choisissez les épis et faites-la superbe ;

Couronnez-la de fleurs, parez-la de rubans.

 

Qu’elle entre dans la grange au son des tambourines.

Chantez, parlez d’amour, ô lèvres purpurines,

Et plus tard, à l’église, on publiera des bans.

 

Pamphile LeMay, Les Gouttelettes, Montréal, Librairie Beauchemin, 1904, p. 145. La photographie de LeMay apparaît sur la page en regard de la page titre de cet ouvrage.

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