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Un chroniqueur original

automne-unDépouiller les journaux anciens québécois pendant des années amène à découvrir des chroniqueurs de toutes sortes. Certains assez banals, merci, à l’écriture parfois même ennuyante. D’autres étonnants. Qui est donc, à Joliette, ce Z. P. ?

Il s’en prend tantôt au mois de février, tantôt il évoque la fin prochaine des paparmanes, quand il ne chique pas de la guenille parce que seul et grippé. Mais je l’aime bien. Pour l’automne Z. P. ouvre les vannes.

Nous sommes en automne.

Les derniers jours de l’été ont été magnifiques : temps frais, soleil brillant, ciel sans nuage, firmament étoilé. Depuis le vingt-deux du mois dernier, nous sommes enveloppés dans une brume épaisse, une petite pluie fine et froide tombe lentement.

C’est triste, mais c’est beau aussi !

Si j’avais quelque prétention comme moraliste, je vous ferais une petite comparaison entre l’automne et la mort. Mais ne parlons pas de ces choses qui donnent toujours froid au cœur. Tenons-nous en là !

J’ai dit que c’était triste dehors !

Ah ! pour cela, oui. Tous les arbres pleurent et baissent leur fière tête ruisselante d’eau, les feuilles frémissent et tombent une à une.

Plus d’animaux dans les champs, tous les oiseaux s’envolent vers des cieux plus cléments, l’homme même s’enferme sous son toit quelque peu refroidi déjà, et laisse écouler doucement les longs jours qui s’avancent. Nous, les jeunes gens, nous ne pouvons plus nous permettre de sortir un peu, au grand soulagement de mes aimables lectrices, sans doute ! Puis, c’est beau et poétique dehors.

Ces longs arbres tristes et ballants qui semblent vous dire adieu, des forêts qui se dépouillent de leur vêtement aux couleurs variées, cette diaprure que vous admirez sans jamais vous lasser, tout cela vous met le cœur tout plein d’inspirations divines. Entrez dans un bois quelconque et considérez seulement tout ce que l’automne a fait déjà. Les feuilles ne sont plus vertes, elles sont d’un jaune orange et deviennent comme d’or quand le soleil montre ses rayons.

Les feuilles de carmin, celles des érables, nous semblent comme une large bordure écarlate à laquelle s’entrelacent d’autres feuilles diaprées. Dans les sentiers qui vous enrubannent, vous remarquez déjà une clairière qui se forme dans les branches autrefois touffues. Le zéphir est même disparu et vous sentez sur votre figure un souffle moins caressant, plus rude, plus froid qui est un avant-coureur certain de l’aquilon de l’hiver.

Reposez-vous quelque part sur un arbre renversé ou sur un tas de feuilles sèches, et, si vous êtes artiste, peignez la nature sur le vif : vous ferez un chef-d’œuvre dont on saura reconnaître le mérite. Si vous êtes poète, prenez votre crayon, ouvrez votre carnet et laissez parler votre cœur : vous ferez un ouvrage qui passera à la postérité et que la génération actuelle admirera.

Si vous êtes musicien, écoutez le bruit des feuilles qui tombent en se froissant, le bruit du vent qui passe en les faisant tomber, demandez à votre âme ce qu’elle ressent à la vue de cette nature qui s’endort en se dévêtissant, mettez-vous à l’œuvre et vous produirez une composition tellement sublime dans le mélancolique qu’on dira de vous : c’est un véritable chantre de la nature.

Toutes les magnifiques rêveries, les pensées fugitives que les musiciens ont composées, ont été produites, n’en doutez pas, dans un de ces moments de transport, de ces frémissements intérieurs que le sublime d’après nature fait ressentir.

L’automne est l’ami des heureux et des malheureux.

Des heureux, parce qu’ils peuvent contempler près de leur âtre la nature qui agonise; des malheureux, parce qu’ils trouvent une petite consolation à pleurer d’accord avec elle. Un amoureux éconduit, découragé et plein de mélancolie, verra dans les feuilles qui tombent une image de ses illusions envolées, de ses rêves effacés, de ses espérances déçues.

Tout le monde se ressent donc de l’automne, même votre chroniqueur qui voit avec plaisir l’été terminé. L’automne est venu en augmentant sa joie; l’hiver viendra et sa joie sera plus grande encore. Plus le temps fuit, plus il se sent heureux ! Expliquez cela qui pourra !

 

L’Étoile du Nord (Joliette) 5 octobre 1893.

Contribution à une grande anthologie sur l’automne. Quand donc nous y mettrons-nous ?

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