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Ainsi naît le charme

Si une jeune demoiselle, sur la terre ferme, se précipitait soudain dans les bras d’un passant, cet acte de brusque expansion serait généralement assez mal interprété.

La glace, au contraire, autorise tout. «Glissez, mortels, n’appuyez pas !» dit un vers connu. Mais il est des moments où une patineuse éprouve l’irrésistible besoin de s’appuyer pour éviter la culbute indiscrète.

Ce besoin-là suffit à sauver les apparences. On est lancé à toute vitesse, on va heurter un monsieur très sélect et très garni de fourrures.

— Oh ! mille pardons, monsieur…

— Comment donc, mademoiselle !

Ajoutez à la mise en scène un pudique embarras, de jolis yeux baissés selon la formule, mais baissés seulement après avoir lancé sur le monsieur sélect une étincelle incendiaire, et voilà le point de départ d’un roman qui peut se dénouer à l’église.

Le lendemain, on se retrouve. Ce scélérat de hasard, qui se mêle toujours de ce qui ne le regarde pas, fait en sorte que l’aimable personne aux élans irrésistibles aille encore heurter le monsieur qui a vu, pendant toute la nuit, cette séduisante image zigzaguer dans ses rêves… Vous devinez le reste.

C’est surtout pour les demoiselles, à qui la sollicitude maternelle a fait apprendre les en arrière, que ces évolutions pour le bon motif sont faciles et productives.

Les en arrière consistent, n’est-il pas vrai, à décrire d’élégantes courbes, le dos tourné. Et quand on a le dos tourné, on est bien excusable de rencontrer involontairement la robuste poitrine d’un patineur.

 

Source : La Patrie (Montréal), 4 février 1891.

La photographie d’Eva Mercier, patineuse bien sûr, prise en 1944, est déposée à Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Gatineau, Fonds Rodolphe Léger cote : P28, D38.

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