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Si tu vois mon pays…

En août 1890, Lorenzo, de Saint-André d’Argenteuil, est «fatigué du régime monotone de la vie d’étudiant et désireux d’aventures». Pourquoi ne pas poser le dernier clou «au cercueil de ma vie de bohème» ?

Après plusieurs semaines à visiter des villes américaines, le voilà à Détroit. Extraits de son récit.

Nous sommes au début de novembre. C’est dans Détroit la belle que je voulus aller me reposer, puisque dans cette ville, que j’avais d’abord étudiée à vol d’oiseau, j’avais reconnu quelque chose de notre cher Montréal. […] Le vent répétait, chaque jour, ses chansons plaintives et monotones, comme le glas funèbre des trépassés, et, dans un grand silence, nous pouvions voir, un certain soir, se dresser sur la rive canadienne la jolie ville de Windsor offrant un aspect, on eut dit inaccoutumé, par ses milliers de lumières qui, comme autant de feux follets, semblaient faire les frais de danse d’un bal nocturne.

C’était au milieu de ce mélancolique concert d’une nature malade, que je me dirigeais sans but, à la bonne aventure, dans un quartier pauvre et tranquille de la vaste cité. Ce soir-là, je souffrais de nostalgie, et c’était sans doute pour songer plus à l’aise aux attractions du pays absent, que je m’étais porté, seul, dans cet humble quartier, que je savais habité en partie par des compatriotes dont plusieurs regrettaient le coin de terre qu’ils avaient laissé là-bas, pour chercher fortune à l’étranger. […]

Tout en me faisant ces réflexions, et me rappelant bien des figures chères et éloignées, je m’avançais, presque perdu dans un dédale de rues, à peine éclairées par les blafardes lumières de quelques lampes qu’alimentait le gaz. Tout à coup à l’encoignure de deux rues, dont l’image est restée dans ma mémoire, je me sentis forcément arrêté.

Un timbre de voix qui semblait ne pas m’être étranger, une modulation, qu’autrefois j’avais souvent entendue, captiva mes oreilles et me mit sous l’empire d’une poignante émotion. La voix venait d’une courte distance, et, comme la rue était déserte, je pus, sans être aperçu, m’approcher d’une maison à mansarde, d’où je compris, à travers la persienne d’une fenêtre du premier étage, les paroles de cette mélancolique ballade que tant de mères canadiennes répètent encore, quand leurs petits enfants entourent la bûche qui flambe dans la cheminée :

Un Canadien errant
Banni de ses foyers
Parcourait en pleurant
Des pays étrangers.

Ce plaintif refrain était chanté par une voix de femme, qui mêlait à ces notes populaires, toute la tristesse d’une âme que l’on reconnaissait blessée et délaissée, songeant, ce soir-là, aux amis d’enfance, à l’ancienne maison, au hameau plein d’ombrage, et pour ranimer ces souvenirs toujours vivaces, même après des années de séparation, elle chantait, la pauvre exilée, les couplets qui peignaient son propre sort.

Mille réflexions se pressèrent en un instant dans mon esprit. Je me rappelai notre patriotique écrivain, Gérin-Lajoie qui, alors qu’il était au collège, traça ces vers capricieux que le vent de la renommée a portés jusque par delà les mers. Puis, je repoussai toute pensée, et, silencieux, j’écoutai cette voix qui, comme le son d’une harpe éolienne et plaintive comme le bruit lointain que fait sur les eaux l’aviron du pêcheur, continuait cette vieille chanson si connue :

Si tu vois mon pays,
Mon pays malheureux,
Va dire à mes amis
Que je me souviens d’eux.

Oh, comme j’étais heureux d’avoir fui, ce soir-là, les quartiers somptueux de la ville, pour vivre un instant, avec mes souvenirs, dans un endroit où ne s’élevaient pas de châteaux aux lambris dorés, mais où battaient des cœurs qui cultivaient l’amour et méprisaient l’oubli.

 

Revoilà, à nouveau, cette si belle chanson qui surgit dans la presse québécoise autour de 1900. Elle n’a pas de fin. Et toujours je la retrouve dans un nouveau contexte.

Alors que les médias nous noient aujourd’hui dans les chansons de toutes les formes et de toutes les manières, certaines sublimes, d’autres affligeantes, quand donc rendrons-nous enfin un véritable hommage collectif à la plus belle québécoise d’entre toutes, Un Canadien errant, et à son compositeur ?

La photographie d’Antoine Gérin-Lajoie provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds ministère de la Culture et des Communications, Les grands inventaires nationaux, Inventaire des œuvres d’art (IOA), Portraits : personnages du Canada, Cote : E6, S8, SS1, SSS2451, D17968.

Il existe de nombreuses versions de la chanson Un Canadien errant. Voici celle d’Ian et Sylvia.

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