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Un si grand nombre d’enfants

Le grand nombre d’enfants dans les familles canadiennes-françaises d’autrefois a toujours étonné les visiteurs ou les observateurs étrangers. Dans L’Album universel du 15 juillet 1905, sous le titre «Familles patriarcales au Canada», Ch. Boutet s’arrête à ce qu’on peut qualifier de phénomène.

Crescant et multiplicant sicut arenas maris.

Il est peu de pays au monde où ce précepte de l’Écriture-Sainte soit observé avec plus de ferveur et aussi avec plus de succès que dans les provinces françaises du Canada.

«La merveilleuse multiplication de la population canadienne-française, écrit M. Gailly de Taurines, est devenue presque proverbiale. Tout le monde a entendu parler de ces familles de quinze ou vingt enfants qui fleurissent sur les bords du Saint-Laurent. Ces faits sont dans toutes les bouches, ont été relaté dans tous les récits de voyages et reproduits par tous les journaux.

«En 1890, continue le même auteur, l’Assemblée législative de Québec vota une loi accordant une terre de cent arpents à tout chef de famille père de douze enfants vivants. L’année suivante, 1,300 demandes étaient déjà enregistrées. Dix-sept avaient pu être émises dans une seule paroisse.»

Quinze ans se sont écoulés depuis l’époque où l’auteur de la «Nation canadienne» écrivait ces lignes, et loin de s’affaiblir, le tempérament prolifique des Canadiens-français semble redoubler d’énergie.

L’on compte actuellement plus de 3,490 familles qui ont au moins douze enfants vivants et qui ont réclamé le bénéfice de la loi de 1890. Ce chiffre est celui qui nous est communiqué par le département de l’Agriculture. Mais, d’après le statisticien officiel lui-même, «ce nombre devrait être beaucoup plus élevé s’il n’y avait pas pour les bénéficiaires certaines difficultés à surmonter».

«Beaucoup de ces familles, résidant dans les villes, villages, ou dans les vieilles paroisses des seigneuries, loin des terres vacantes de la Couronne, ne sont guère désireuses d’aller choisir des lots pour les défricher et les occuper à une distance de 50 à 200 milles de leur résidence, ou même à y envoyer quelqu’un de leurs membres. Cela deviendrait pour ces familles une charge onéreuse, au lieu d’une récompense ou d’une marque de considération.»

Ces considérations ont été prises en sérieuse attention par le Parlement de Québec, qui, ne voulant annuler ce principe bienfaisant dans son essence de la loi de 1890, en a fort heureusement modifié l’application au cours de la dernière session de 1905.

D’après le nouveau décret, les chefs de familles comptant plus de douze enfants vivants auront droit à une prime consistant, non plus en terres à faire valoir, mais en une indemnité en espèces de quatre-vingt dollars.

Cette solution a le double avantage d’encourager les agriculteurs à la procréation de familles nombreuses, tout en leur permettant d’affecter la récompense acquise à l’amélioration de leur patrimoine territorial. […]

Soyons heureux et fiers de constater que si au Canada, l’on se passionne même bruyamment pour ces questions, on fait de bonnes et solides réformes qui portent leurs fruits.

Quoi qu’il en soit, il demeure comme fait certain qu’à l’encontre de ce qui se passe pour l’ouvrier, l’artisan ou l’employé des villes, une famille nombreuse, loin d’être une charge pour le cultivateur ou pour le colon, est au contraire une source inappréciable de richesse et l’une des plus sûres garanties de succès dans l’avenir. C’est l’économie de la main-d’œuvre, la force que donne le travail collectif exécuté par des individus unis non seulement par un intérêt commun, mais par les liens les plus sacrés et les plus indissolubles, ceux de la famille; c’est la joie, enfin, d’une existence calme et pure, loin des tracas et des petitesses de la ville, dans le milieu vivifiant de la grande nature, qui assainit les âmes comme elle fortifie les corps.

O fortunatos nimium, sua si bona norint Agricolas !…

Oui, cent fois heureux les laboureurs qui savent apprécier leur bonheur, mais cent fois plus heureux encore leurs enfants, s’ils comprennent ce qu’ils doivent à leur sol nourricier, et s’ils lui conservent toute leur vie l’attachement et l’affection de fils reconnaissants et dévoués.

 

L’illustration de cette famille nombreuse est parue dans L’Album universel du 15 juillet 1905. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec au descripteur «Familles — Dimension». La légende de la photographie se lit : M. Joseph Beaudette, cultivateur du rang 9, Normandin, a dix-sept enfants vivants, mais il y en a quatre qui sont absents du foyer.

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