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L’allumeur de réverbères

Travailler à mes ouvrages sur les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent fut un long projet de jeunesse auquel j’ai pris tellement plaisir. L’idée m’est venue alors que j’avais 33 ans. Et il m’a fallu neuf années pour mener à terme les quatre volumes, entrecoupées de moments pour «gagner ma vie». Une marche, une course de longue durée. Et la parution du premier livre en 1980, C’était le printemps, fut si bien reçu que j’étais certain d’avoir pris le bon chemin.

Je voulais immortaliser dans chacun de ces quatre livres la vie traditionnelle dans les campagnes québécoises, et à l’occasion à la ville. Et je me rappelle chacun des moments d’écriture. Ainsi, lorsqu’est venu le temps de rédiger un texte sur l’éclairage des rues autrefois, je ne disposais que d’une seule référence, celle d’Aegidieus Fauteux, «Comment s’éclairait-on, il y a un siècle», dans la revue Canadiana, de mars-avril 1940. Et quelle surprise ce fut de découvrir que jamais personne, au Québec, ne s’était attaqué à l’allumeur de réverbères. Rien dans les publications québécoises s’y référait, alors que les Français pouvaient au moins prétendre qu’ils avaient le texte d’Antoine de Saint-Exupéry, plus exactement la conversation entre le Petit Prince et cet homme de métier.

Aussi je me lançai. J’espérais immortaliser le personnage. J’ai mis deux pleines journées à rédiger ces deux paragraphes que je voulais absolument sans faute, et pouvant être lus autant que récités :

En 1800, il n’y a que la lumière blafarde des bougies aux fenêtres des maisons pour éclairer, le soir, les rues de Montréal et de Québec. Celui que sort a soin de se munir d’un fanal ou d’un falot dont la lueur, cependant, n’éclaire que sa foulée. En 1818, une centaine de lampes, activées à l’huile de loup-marin, de baleine, de morue et de marsouin, sont mises en place dans les deux villes et un nouveau métier voit le jour, celui d’allumeur de réverbères. Cet homme, agent du guet également, a pour mission d’allumer et de nettoyer les lampes. Chaque soir, sa courte échelle sur l’épaule, son barillet d’huile à la main, il va de réverbère en réverbère, avec une lenteur méthodique, éclairer la nuit. De grand matin, dans les rues à peine éveillées, à l’heure où chante le coq, il reprend sa ronde, éteignoir en main, pour laisser place au jour.

Jusqu’en 1847, moment où Montréal et Québec se dotent d’un système d’éclairage au gaz, on consomme de grandes quantités d’huile. Mais ces huiles, sauf dans les régions où on se livre à la chasse à ces animaux, ne sont guère utilisées pour éclairer l’intérieur des maisons. Elles coûtent trop cher, fument beaucoup, encrassent les plafonds et répandent une odeur nauséabonde. Aussi leur préfère-t-on la bougie de suif, dite chandelle à l’eau, fabriquée à la maison après les grandes boucheries de décembre.

On trouvera ce texte dans mon ouvrage Les Quatre Saisons dans la vallée du Saint-Laurent, Montréal, Éditions du Boréal, 1996, p. 49.

 

L’illustration de l’allumeur de réverbères, une aquarelle d’Antoine de Saint-Exupéry, apparaît dans l’ouvrage de ce dernier, Le Petit Prince, Paris, Éditions Gallimard, 1946, p. 51.

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