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Le patineur

Le patineur est un individu qui se termine d’un côté par une tête, de l’autre par une paire de patins.

La carrière qu’il a embrassée est honorable, quoique peu rétribuée. Il ne trouve guère l’occasion de l’exercer que pendant l’hiver, et il faut qu’il fasse froid. Tout le reste du temps, il y a bien de la morte-saison.

Le patineur peut être manchot, mais il est indispensable qu’il jouisse de ses deux jambes. Parmi les patineurs célèbres, on cite fort peu de culs-de-jatte.

Quand le patineur ne patine pas, il est assez difficile de le distinguer des autres individus.

On peut avoir des patins et ne pas savoir patiner, mais il est impossible de patiner sans avoir de patins.

Le patineur patine de préférence sur la glace. Il doit éviter d’y inscrire son nom, ce qui le ferait reconnaître pour un habitué des restaurants de nuit et pourrait lui faire manquer quelque riche mariage.

Il y a deux sortes de patineurs :
Le patineur qui sait patiner.
Le patineur qui ne sait pas patiner.

Le patineur qui sait patiner éblouit la galerie par l’ingéniosité de son lancer, l’imprévu de ses retours et la hardiesse de ses courbes.

Le patineur qui ne sait pas patiner est chargé de la partie comique. Sa fonction consiste à tomber dans n’importe quel sens. Les gens qui aiment à parier l’utilisent volontiers pour jouer à pile ou face.

Le patineur tombé n’a qu’un moyen de se relever : c’est d’ôter ses patins. S’il désire tomber de nouveau, il s’empresse de les remettre, et ainsi de suite.

La patineuse ressemble beaucoup au patineur, à cela près qu’elle est d’un autre sexe.

Quand il lui arrive de tomber, elle s’en étonne plus ou moins, suivant la classe de la société à laquelle elle appartient.

La patineuse tombe volontairement ou involontairement.

Dans ce dernier cas, elle montre sa maladresse.
Dans le premier cas, elle montre…. ses chevilles.

Parfois, le patineur et la patineuse se servent mutuellement de soutien. Ça ne les empêche pas de tomber; mais, au moins, ils tombent à deux, ce qui est plus agréable.

Les vrais patineurs patinent le plus longtemps possible. Il est rare, toutefois, qu’ils s’obstinent à patiner après le dégel.

 

Raoul Toché, «Physiologie du patineur«, Le Monde illustré, 25 février 1893.

Raoul Toché (1850-1895) aurait composé quelques opérettes et serait l’auteur de la chanson Ah si vous connaissiez ma poule, chantée par Maurice Chevalier.

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