Bien parler français au Québec (deuxième partie)
Retournons dans ce petit ouvrage de J.-F. Gingras publié en 1880, Manuel des expressions vicieuses les plus fréquentes. L’auteur cherche à sensibiliser les siens au fait que la langue française parlée au Québec est défigurée par des anglicismes ou des termes corrompus. Allons-y.
Affiquots. Corruption d’AFFIQUETS, qui signifie un petit ornement de femmes, tel que bracelet, collier, etc.
Amour (Être en). Ne doit se dire que des femelles des animaux, car cela signifie Être en chaleur. Qui n’a pas entendu dire un tel est en amour avec une telle, au lieu de : sont AMOUREUX ou ÉPRIS l’un de l’autre.
Balancine. Cordes qui suspendent par leurs extrémités les barres de bois transversales auxquelles sont attachées les voiles d’un navire. C’est donc erronément que l’on se sert de ce mot pour celui de BALANÇOIRE.
Ballier. Corruption du verbe BALAYER.
Barda. Les classes ouvrières, particulièrement les femmes, se servent de ce terme au lieu de RANGER. NETTOYER ou FAIRE LE MÉNAGE. La disparition de ce barbarisme est grandement désirée.
Barley. Rarement l’on désigne ce grain par son nom français, et pourtant le mot ORGE est bien connu.
Beurrée. Tranche de pain sur laquelle on a étendu du beurre. Dire TARTINE et non beurrée de confitures lorsque la tranche de pain est recouverte de confitures.
Carreauté. Mot créé dans le pays pour désigner les ÉTOFFES À CARREAUX. On va même jusqu’à dire des carreautés !
Catin. Ainsi que dans quelques provinces françaises, nos petites filles appellent ainsi leurs POUPÉES; mais catin signifiant aussi femme ou fille de mauvaises mœurs, il serait sage de lui préférer le terme qui ne peut prêter à l’équivoque.
Catiner. Verbe auquel nul dictionnaire ne donne le droit de bourgeoisie, mais très usité en ce pays; or, comme il prête trop à l’équivoque, nous ferions bien de le laisser tomber dans l’oubli en enseignant à nos bambins à ne se servir que de la locution « jouer à la poupée ›.
Champlure. Trou pratiqué au bas d’un tonneau ou baril, pour en faire écouler le contenu. C’est donc à tort qu’on emploie ce mot pour celui de ROBINET.
Coquerelle. Nom qui était donné dans certaines abbayes à des femmes dont la fonction était de garder les chanoinesses depuis le moment de l’extrême-onction jusqu’à leur enterrement. Par ce mot, le Canadien désigne un insecte très commun dans beaucoup d’habitations du Bas-Canada et qu’en France l’on appelle BLATTE.
Démence. Maison en démence. Beaucoup se servent fréquemment de ce mot pour signifier maison en RUINE.
Jongler. Dans nos villes et campagnes, les classes laborieuses se servent invariablement de ce mot à la place de SONGER ou RÉFLÉCHIR.
Kid. CHEVREAU. C’est donc à tort que nous disons Gants de kid au lieu de Gants de peau de CHEVREAU.
Libèche, Rubandelle. Ces deux termes ne se trouvent pas dans les dictionnaires; mais beaucoup s’en servent pour désigner une PETITE BANDE de cuir, d’étoffe, de papier, etc.
Lurette. Vieux mot qui entre dans les refrains de chansons, mais qui, devenu substantif, signifie Une petite luronne. Ma lurette. Ce n’est dans aucun de ces sens que nous l’employons, car tous, nous disons : « Il y a belle lurette que tel fait s’est passé, a eu lieu ». À la place de lurette, c’est HEURETTE que l’on devrait dire.
Maganer. Maganer une personne, un habit, se dit souvent au lieu de MALMENER une personne, FRIPPER un habit, etc.
Marbres. BILLE est le nom de la petite boule de marbre ou de pierre qui sert de jouet aux enfants. Il faut donc dire jouer aux BILLES, et non pas jouer aux marbres.
Neige. Abat, bordée de neige sont des fautes qu’il est facile d’éviter en se servant de cette locution : ÉPAISSE, MINCE ou LÉGÈRE COUCHE de neige.
Quérir. Il y a bien longtemps que ce verbe a été corrompu par les classes laborieuses, car aujourd’hui elles ne cessent de dire : va le qu’ri pour va QUÉRIR ou va CHERCHER quelqu’un.
Renard. Les enfants disent faire le renard lorsque, sans permission, ils manquent d’aller à l’école. C’est aux maîtres à leur apprendre que faire l’ÉCOLE BUISSONNIÈRE est l’expression voulue en ce cas.
Rester. Je suis resté; ce cheval est resté, sont des expressions vicieuses qu’il faut remplacer par celles-ci : je suis EXTÉNUÉ de fatigue; ce cheval est RENDU.
Rif. Impossible de savoir d’où vient ce terme, employé à la place de DARTRE LAITEUSE, maladie de la peau dont beaucoup d’enfants à la mamelle sont affligés.
S’adonner. Ne doit se dire que dans ce sens : S’ADONNER à un passion, à un vice; mais on le substitue souvent aux mots « par hasard » dans cette phrase : « Je m’adonnais à passer par là. »
Taon. La plupart appellent ainsi le BOURDON, espèce de grosse mouche à miel qui fait d’ordinaire son nid dans la terre. Le taon est plus petit. C’est cet insecte que craignent tant les chevaux.
Tea-pot. Ce mot anglais s’emploie souvent au lieu de THÉIÈRE.
Tire. Mot du pays par lequel on désigne des BÂTONS et TABLETTES de mélasse. On donne aussi ce nom, mais à tort, au SIROP très épais de sucre d’érable.
Traversier. Se dit à tort pour PASSEUR d’une rivière, d’un lac. On fait également erreur en disant traversier au lieu de BAC ou BATEAU PASSEUR. Si ce bateau est mû par la vapeur, BAC À VAPEUR sont les mots propres.
Source de l’illustration, prêtant des comportements humains aux bêtes, proposant des qualificatifs simplistes : Mon troisième livre de lecture, Montréal, Librairie Granger Frères Limitée, 1956. Textes de Marguerite Forest et Madeleine Ouimet, illustrations de Jean-Charles Faucher.
Je suis tombée en amour avec ces mots que je n’avais entendus depuis belle lurette. Heureusement que l’usage garde une langue vivante. J’entends parler mes parents et grand-parents, merci de me faire quérir plein de souvenirs !
Merci tant de votre commentaire, chère Sylvie. Je vois aussi que vous êtes vraiment magicienne des mots de notre langue !
Beau dimanche à vous.
La belle lurette comme en parle si bien Fred Pellerin ! Il lui donne le vrai sens français selon votre livre: une belle jeunesse aux cheveux bouclés , avenante et pétillante du haut de ses 15 ans et qui faisait l’orgueil de son père.
Probablement le genre de personne qui n’existe qu’en rêve. Alors quand on dit qu’on attend depuis belle lurette, c’est un peu comme si on désespérait de ne jamais avoir ce qu’on espère, comme si on attendait l’impossible.
Quant à la bordée de neige, je trouve l’expression tellement imagée. Un édredon de neige légère pour abriller la nature dans la froidure de l’hiver, pour la border jusqu’au printemps.
Y a pas à dire, nos ancêtres avaient le verbe en couleur.
Tout à fait, chère Françoise, comme vous le dites si bien, nos anciens avaient le verbe en couleur.
Oui, l’expression «bordée de neige» est fort belle, bien que ce monsieur la décrie. Je n’ai pas vérifiée, mais il me semble que l’Office québécois de la langue française la reconnaît comme une bien belle expression, tout à fait acceptable.
« Zarsais » ! Voilà une découverte de valeur pour nous. Mèrcie bein des fais.
En outre, parmi des expressions toujours courantes de la même manière dans la langue jersiaise on retrouve : amather, nièrcheu, badrer, ouothipieaux, beurrée, cârrioté, s’adonner, qu’si.
On n’aurait pas cru que pour badrer, expression si bein connue chez nous, il s’agit d’anglicisme (le Dictionnaire Jersiais-Français ne le signale pas), mais alors !
Hé, merci, bien cher Tchi ! Heureux de vous savoir là !
Pour mes visiteurs, je me permets de leur proposer l’adresse de votre blogue :
http://officedujerriais.blogspot.ca/