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Bien triste histoire

Parfois, il y a de ces histoires à tirer les larmes dans la presse québécoise de 1900. Sous le titre «Les quêteux des Sept Crans !», La Patrie du 19 avril 1901 nous raconte un vécu de misère dans les bois, derrière Sainte-Anne-de-Beaupré.

L’enquête présidée, hier, par le député-coroner, le Dr Garneau, à Ste-Anne de Beaupré, sur les circonstances de la mort d’une femme du nom de Joséphine Fortin, épouse d’un vieux mendiant du nom de Pierre Noël Charland, a révélé un état de choses des plus tristes, la plus profonde misère.

La défunte, qui n’était âgée que de quarante-quatre ans, résidait avec son mari qui avait au moins quarante ans de plus qu’elle, et un enfant âgé d’à peine trois ans, fruit extraordinaire de cette union disproportionnée, dans une masure à peine habitable, située à plus de deux lieues et demie de la paroisse de Ste-Anne de Beaupré, dans une localité dite les Sept Crans, en plein bois.

Ils ne vivaient que de mendicité et attendaient généralement pour mendier à nouveau qu’ils en fussent rendus à leur dernière bouchée de pain. La faim seule les faisait sortir de leur gîte et il leur arrivait assez souvent de partir l’un et l’autre chacun de leur côté en quête de victuailles.

Il est bon de savoir ici que leur premier voisin résidait à plus de 60 arpents de leur maisonnette, et que la défunte était sujette à d’assez fréquents accès de haut-mal ou d’épilepsie.

Dimanche dernier, l’infortunée que la faim avait fait sortir de sa masure pour aller mendier des restes de table à une grande distance, avait eu à franchir à pieds pour revenir au logis une distance de plus de 70 arpents dans la neige jusqu’à la ceinture. Le vieux Charland, son mari, était lui-même parti de son côté pour mendier et ne devait revenir que le lendemain.

Le lendemain matin, l’infortunée se sentant menacée d’accès de haut-mal avait pris le lit et, vers onze heures, un passant qui était arrêté dans son misérable logis trouvait la défunte étendue sur un misérable grabat et constatait qu’elle était dangereusement malade. Son petit garçon pleurait auprès de sa mère pour avoir à manger. C’était un spectacle à fendre l’âme.

Le père, qui n’était attendu qu’à la brunante ou vers le soir, est heureusement arrivé sur les entrefaites pendant que l’étranger en question, qui ne savait réellement trop que faire pour secourir l’infortunée et donner à manger à l’enfant, était encore sur les lieux. Il a été constaté à l’enquête par la déclaration du vieillard qu’une heure après, c’est-à-dire entre midi et une heure p. m., la mort était venue mettre un terme aux souffrances morales et physiques de cette infortunée.

On rapporte que la charité publique ne leur a certainement jamais fait défaut, et qu’ils ont été en particulier l’objet constant de la sollicitude et de la charité des Pères Rédemptoristes qui ont la direction de la paroisse Ste-Anne. Mais l’infortunée et son mari étaient des minus habens, qui attendaient toujours au dernier moment pour demander du secours ou qui ne réclamaient d’assistance que lorsque leurs misérables provisions de bouches étaient absolument épuisées.

Les Pères Rédemptoristes leur ont plus d’une fois offert l’usage d’une maisonnette sur le grand chemin, dans un centre un peu plus habité et plus accessible, mais le vieux n’a jamais voulu abandonner sa misérable masure.

Les chemins sont tellement peu abordables de ce temps-ci pour arriver à la maisonnette où est morte l’infortunée qu’il a fallu transporter son cadavre à bras sur une distance de plus de 6 milles, et le député-coroner a été forcé de procéder à l’enquête après le service funèbre dans la sacristie de l’église paroissiale de Ste-Anne.

Pour finir, un mot maintenant de cette fameuse localité des Sept Crans qu’habitait l’infortunée. Il y a tout un groupe de familles de mendiants qui vivent la plupart dans la plus abjecte des misères. Les Pères Rédemptoristes leur viennent en aide dans toute la mesure du possible. La dîme qu’ils perçoivent de ce côté-là ne s’élève guère à plus de trois pauvres dollars, et ils ont eu la générosité de leur construire à leurs propres frais une chapelle qui a coûté près de l’institutrice et défrayent le coût de $1,000 et une maison d’école [sic]. Ce sont les Pères Rédemptoristes qui payent l’entretien de cette école.

Le Dr Garneau, de qui je tiens ces détails, a été vivement attristé par l’affreux spectacle de misère noire qu’il a eu sous les yeux une partie de la journée d’hier, et il était encore profondément ému, impressionné, lorsqu’il m’en a fait le tableau, hier soir.

 

La carte postale est antérieure à 1922, car l’église, à gauche, construite en 1876, fut détruite par le feu en mars 1922. On édifia l’actuelle basilique après cet incendie.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Pierre Robitaille #

    Bonjour Jean,

    Terrible histoire en effet…
    Y-t-il un rapport entre cette «petite localité» des Sept-Crans et les sept-chutes au nord de Beaupré?

    Je vous lis, mon cher, toujours avec autant d’assiduité.
    En voyage en Haute-Savoie pour le travail, vous êtes mon réveil québécois!

    Pierre Robitaille

    5 mai 2012
  2. Jean Provencher #

    Heureux de savoir que vous êtes là, cher Pierre. Même de la Haute-Savoie !

    Je n’avais jamais entendu parler de cette localité des Sept-Crans. Je n’ai absolument rien trouvé encore à ce sujet. Mais peut-être y a-t-il une piste du côté des sept-chutes ?

    Il faut fouiller, il faut fouiller !

    Bon séjour dans ce beau pays, là-bas !

    5 mai 2012

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