Un héros du quotidien

Georges Gauthier

Question. Arrive-t-on à retrouver encore aujourd’hui ce type de personnage ? Sans doute.

Le public voyageur n’apprendra pas sans regret le décès survenu ces jours derniers de Georges Gauthier, qui a pendant 32 ans transporté la malle [un anglicisme fort répandu à l’époque pour désigner le courrier, et non ces coffres de grandes dimensions que l’on emporte en voyage] de Coteau Landing [sur les bords du lac Saint-François, dans le Saint-Laurent] à Coteau Station [avenue de la gare, toujours dans Vaudreuil-Soulanges].

Gauthier commença cette besogne à l’âge de 14 ans, et il en avait 54 au moment de sa mort, ce qui lui donne 40 ans de service actif. Pas une seule fois pendant ces 40 années, Gauthier faillit à la tâche. Hiver comme été, printemps comme automne, par le beau et le mauvais temps, la pluie ou la neige, il fit le trajet en voiture ou en chaloupe, de Coteau Landing à Valleyfield.

C’était un homme très habile, expert en son métier, toujours disposé à rendre service. Outre la malle, il transportait aussi les navigateurs et il n’est aucun commis-voyageur [agent de commerce] de la province qui n’ait connu le défunt et réclamé ses services.

Il était le premier l’automne à traverser la glace, comme il était le dernier, au printemps, à voyager sur la route fondue par le soleil et rongée par l’eau. Et, dans ses voyages, il ne s’aventurait pas, il, était certain de ce qu’il entreprenait. Il était l’obligeance même et les commerçants et les marchands de Coteau Landing et de Valleyfield, qui le chargeaient chaque jour d’une foule de commissions, ne l’oublieront pas de sitôt.

À toute heure du jour et de la nuit, il était à la disposition des voyageurs qui voulaient traverser. L’été, il suivait entre les îles un chemin qu’il avait trouvé lui-même et dans lequel tout autre se serait perdu.

La Presse (Montréal), 25 février 1901.