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Une plante humble qui a traversé le temps et ne plastronne pas

Elle est à la fois d’Amérique et d’Europe. Indigène et naturalisée. Il serait impossible à qui que ce soit en Amérique de distinguer dans un plant qui pousse s’il est d’origine nord-américaine ou européenne. Ce qui la rend donc unique.

Appelée herbe à dinde au Québec et souvent millefeuille en France, les spécialistes préfèrent son nom officiel : Achillée millefeuille (Achillea millefolium). Habituellement, elle fleurit à la mi-juin. Et le 8 novembre 2014, chez moi, après une nuit de moins 8, elle proposait encore ses fleurs. Aucune autre plante, indigène ou naturalisée, n’a une période de floraison aussi longue.

Son appellation vernaculaire lui aurait été donnée par les paysans du Québec (aux îles de la Madeleine dans le golfe du Saint-Laurent, on préfère l’herbe à dindonneau) qui autrefois la mélangeaient à du lait caillé pour nourrir les dindonneaux [Gagnon : 74]. En leur temps, certains ont dit que c’était « une des plus connues de tout le monde » [Marie-Victorin : 592]. Cela est maintenant moins vrai auprès des citadins.

Son histoire, bien attestée, est très ancienne. Neandertal, aujourd’hui disparu mais de qui nous arrivons à trouver des traces dans notre ADN, y recourait. Entre – 50 600 et – 43 300 ans, d’après les micros résidus de plantes contenus dans leur tartre dentaire, cinq Néandertaliens de la grotte El Sidron [dans les Asturies, au Nord-Ouest de l’Espagne] utilisaient régulièrement des plantes aux propriétés inflammatoires, antispasmodiques, cicatrisantes, calmantes et digestives, telles que l’achillée millefeuille et la camomille [Patou-Mathis : 463].

Neandertal utilisait même l’herbe à dinde pour célébrer ses morts. Dans la chaîne du Zagros, qui sépare l’Irak de l’Iran, on a trouvé des tombes remontant à environ 60 000 ans. Le défunt reposait sur un lit de prêle, alors qu’un assortiment d’herbes médicinales auréolait son corps : bleuet, millefeuille [donc l’herbe à dinde] et centaurée. Ces espèces étaient disposées selon un agencement très précis attestant l’intervention experte d’une main humaine. Le sol de la tombe n’avait pas été jonché, mais bien plutôt tapissé de fleurs [Pelt, 1988 : 285].

Au nord-est du continent nord-américain, on recourt encore à l’herbe à dinde comme plante médicinale. Selon le traitement, on s’en sert pour les maux de ventre, diminuer ou faire cesser la fièvre, lutter contre le début d’un rhume ou d’une grippe, cesser la démangeaison venue d’un contact avec l’herbe à puce ou une piqure d’insecte, et dégager les bronches. Ce sont généralement les mères de famille qui ont assuré la transmission de ce savoir.

Au Québec, un périodique publié à La Pocatière à l’intention de populations sensibles aux choses de la Nature, la Gazette des campagnes, est paru pendant plus de 35 ans. Le 19 août 1875, sous le titre Propriétés médicinales de la millefeuille (herbe à dinde), on écrit :

Cette plante, vulgairement appelée sous le nom d’herbe à dindes, d’herbe aux coupures, d’herbe aux charpentiers, est très commune dans les campagnes, et croît particulièrement sur le bord des chemins. Elle a des propriétés éminemment cicatrisantes, et sert à préparer des cataplasmes froids ou chauds, qu’on applique avec succès sur les coupures et les plaies; froids, il suffit de plier les feuilles, les jeunes tiges et les fleurs de la plante et d’en appliquer le résidu sur la plaie qu’on veut cicatriser; chauds, il faut faire bouillir ces mêmes parties de la plante et en composer un cataplasme. Des sommités fleuries de la millefeuille, desséchées, sont employées en infusion, à la dose de deux ou trois pincées dans une pinte d’eau, pour calmer les coliques d’estomac.

Voici cette plante en quelques images du 1er juin au 8 novembre.

Dans vos errances à sa recherche, évitez les sous-bois, elle ne s’y trouve pas. Gagnez plutôt la lumière, dans un champ aux fleurs variées. N’acceptant que les lieux où le soleil la rejoint directement, vous avez des chances d’y faire sa rencontre.

 

Gagnon, Louis-Jean, À travers les champs et les bois, Montréal, Librairie Beauchemin, 1931.

Marie-Victorin, Frère, Flore laurentienne, Éditions des Presses de l’Université de Montréal, 1964.

Patou-Mathis, Marylène, Neandertal de A à Z, Paris, Allary Éditions, 2018.

Pelt, Jean-Marie, Fleurs, fêtes et saisons, Paris, Fayard, 1988.

 

 

 

 

 

 

 


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