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Pierre Mabille, sur le besoin impérieux d’aimer

Médecin et écrivain français, Mabille (1904-1952) a publié en 1940 une anthologie sur le merveilleux.

Dans le chapitre La quête du Graal, après avoir évoqué ces « silhouettes vagues » que nous croisons quotidiennement, le voici sur l’amour.

De tous ces étrangers, nous ne savons rien en vérité, nous n’échangeons que des propos de circonstance et, hormis les minutes exceptionnelles de passion collective, il ne s’établit aucun contact sensible qui puisse rompre notre solitude.

Et voici que monte en nous, suivant un rythme obscur, l’impérieux besoin d’aimer. Force inconsciente, complexe comme celle du feu et des énergies cosmiques, elle appelle au plaisir. L’instinct, multiple dans ses buts, déchire notre être. Le simple désir physiologique nous pousse à chercher la jouissance au plus tôt, sans nous montrer difficiles sur les instruments et les modalités de ce plaisir. La société, de son côté, témoigne de son hostilité globale vis-à-vis de l’amour passion ; elle excuse le besoin physique en le ravalant à une nécessité hygiénique ; elle nous engage à lier notre personne sociale à une autre personne sociale en vue d’acquérir de l’argent, un emploi, des honneurs.

Soumis à ces courants contraires, malgré les aveuglements successifs, nous conservons une certitude profonde. Nous savons, sans avoir de cela des preuves raisonnables, que quelque part un être nous attend, que près de lui nous trouverons le complément nécessaire à notre angoisse, qu’il est le seul pour nous la source du bonheur, la faiblesse de notre esprit empêche que nous imaginions précisément les traits convoités ; notre assurance absolue demeure indéterminée. Même ceux qui se laissent vaincre par la société, par la famille et par l’argent conservent au fond d’eux-mêmes la conviction qu’il suffit de chercher l’être promis à son cœur pour le découvrir.

Animés de cette inquiétude, nous scrutons les regards des passantes, nous interrogeons les apparitions fugitives. Nous examinons à nouveau celles qui nous entourent, essayant de lever le voile que l’habitude quotidienne a tissé sur les visages familiers.

Enfermés dans notre propre horizon, nous rêvons d’un lieu mystérieux où la femme demeure ; nous la supposons dans l’atmosphère tendre de ses pensées, entourée de ses parents et de ses amis, nous songeons avec émotion à l’endroit où elle respire, où elle projette sur les choses l’enchantement de son charme. Dès lors, la terre promise, le royaume merveilleux cesse d’être en dehors de la réalité terrestre ; il est là où elle attend. […]

 

Pierre Mabille. Le Miroir du merveilleux, Paris, Les Éditions de Minuit, 1962, p. 259s.

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