On ne chantera jamais assez l’importance de l’instant
Plusieurs, dont beaucoup parmi les grands, s’y sont arrêtés.
Dans son chapitre sur l’instant vécu, l’essayiste Jean Onimus (1909-2007), attentif aux mutations de la culture et de la société, y revient.
Il n’y a de réel que le moment que je suis en train de vivre et qui est déjà en train de passer. Le temps ne se fait objectif qu’en cette minute à laquelle je prête attention, environné des fantômes du passé et du futur. […]
L’instant est existentiellement ce qui nous rapproche le plus de l’absolu, ce qui peut-être nous en a donné l’idée. On a souvent dit qu’à un certain niveau d’intensité l’éternel et l’instantané devraient se confondre. Car le temps porte en lui ce qui le nie : n’est-il pas de tous côtés menacé par l’intemporel ?
Un jour Francis Ponge, interrogé par un étudiant sur la poésie, répondit à peu près en ces termes : en venant ici j’ai acheté un journal sur l’avenue. Il y avait un vent léger et la page que je lisais s’est repliée. Levant les yeux, j’ai aperçu alors les feuilles des platanes qui brillaient en s’agitant, je me suis arrêté : c’est cela la poésie… S’arrêter (l’instant est un arrêt). S’ouvrir (parcourir tout le champ de la perception). Écouter (laisser libre cours au jeu des associations). L’instant se révèle alors dans une épaisseur (un incroyable compost) et son étrangeté (j’ai dit que plus on s’enfonce dans le réel plus l’insignifiant paraît insolite). […]
L’instant est notre défense contre le répétitif ; par lui, nous sommes sans cesse plongés dans la différence — qui est là, toute proche, autour de nous, en nous et qui, dès que la machine a des ratés, surgit avec les forces toujours neuves de l’éternel; instant.
Jean Onimus, L’Écartèlement, Supplice de notre temps, Paris, Desclée de Brouwer, 1979, p. 161-163.