Est-ce bien la débâcle cette fois-ci, une œuvre de puissance ?
Enfin, on peut dire que la débâcle est imminente à Montréal.
Elle est déjà commencée depuis le pont Victoria jusqu’à Hochelaga [une agglomération à l’est de Montréal bientôt annexée].
Hier soir, vers six heures, il s’est produit un mouvement général dans le port, et l’on a pensé, un instant, que c’était le signal de la grande débâcle. D’énormes blocs se sont détachés du pont de glace, repoussant d’autres blocs moins lourds. Entre six et sept heures, le niveau du fleuve a baissé d’un demi-pied [une quinzaine de centimètres].
La batture de l’île Sainte-Hélène, la jetée Victoria, les quais à bas niveau s’étendant des élévateurs [silos à grain] du Pacifique au Parc Sohmer et le chenal des navires sont couverts de morceaux de glace qui s’amoncellent constamment et atteignent une hauteur de quinze à vingt pieds [de 4, 57 mètres à 6, 10 mètres]. Vis-à-vis le parc Bellerive, le pont de glace n’est pas encore brisé et forme un barrage qui ne tardera pas à céder, si l’eau continue à monter ou à baisser brusquement.
La glace a causé des dommages considérables à la section du quai Jacques-Cartier, occupé par les steamers du C.P.R., faisant le service de Londres à Montréal. Les fondations sont très avariées sur une longueur d’environ trente verges [un peu plus de 27 mètres]. Un bon nombre de piliers sont démolis et s’en vont à la dérive, emportés par le courant et la glace.
On appréhende aussi des dommages sur la jetée Victoria, où d’immenses morceaux de glace viennent continuellement s’échouer. La bande de la jetée, du côté du chenal, subit des assauts formidables et il est possible qu’elle soit sérieusement avariée par a glace.
Le pont de glace, à Maisonneuve [une agglomération à l’est de Montréal bientôt annexée], commence à céder sous l’énorme pression de l’eau et des glaces amoncelées plus haut. On croit qu’il sera complètement brisé, demain.
D’autres mares d’eau se sont formées, cette nuit, à la Longue-Pointe. Elles faciliteront la descente des glaces et éloigneront tout danger d’inondation. […]
Les bateaux-traversiers de la compagnie Richelieu commenceront probablement leur service le 24 ou le 25 avril. Le « Boucherville » et le « Longueuil » sont déjà sous vapeur dans les îles de Boucherville [en aval de Montréal], et ils attendent le moment favorable pour remonter le fleuve.
La Patrie (Montréal), 18 avril 1907.
