Skip to content

« Le paysan »

Eudore Éventurel, né à Québec en 1852, publie en mars 1878, à 26 ans, son recueil Premières Poésies, préfacé par Joseph Marmette.

Or, on n’a pas idée de l’effet de la méchanceté humaine sur un jeune auteur ; je l’ai vécue moi-même en ’73 et ’74. L’œuvre du jeune poète déclenche une campagne de dénigrement « qui vise surtout Joseph Marmette » disent Réginald Hamel, John Hare et Paul Wyczynski, dans leur Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord (Fides, 1989).

Ils auront réussi à faire taire Éventurel qui, sensible et si blessé, ne publiera plus à peu près jamais, sauf quelques poèmes échappés ici et là. En voici un. Il chante la retrait heureux, loin du monde, dans sa chaumière.

 

Le paysan

Le paysan qui voit l’hiver

S’abattre comme un blanc fantôme,

Au premier froid qui glace l’air,

S’enferme sous son toit de chaume.

 

Et là, content, si sa moisson,

Au fond de son grenier abonde,

Il chante son humble chanson,

Dans un oubli complet du monde.

 

Le laboureur n’est pas méchant ;

L’air qu’ils respire rend honnête.

Il sait qu’aux bornes de son champ,

Le désir qu’il poursuit s’arrête.

 

Voyant son vieux réduit bien clos,

Et du feu dans sa cheminée,

Pour lui, l’hiver, c’est le repos,

Le repos après la journée.

 

Sans regarder le temps qu’il fait,

Par la vitre de sa chaumière,

Le jour, il s’assied satisfait,

Le soir, il s’endort sans lumière.

 

Le givre, en ruban festonné,

Au bord du toit coud ses dentelles ;

Mais un matin, tout étonné,

Il entend un chant d’hirondelles.

 

Alors, sachant qu’il plaît à Dieu

Que la saison d’or soit éclose,

Pour saluer l’horizon bleu,

Il entr’ouvre sa porte close.

 

Il neige encore sur le chemin ;

Mais déjà, dans sa joie ext6rême,

Il bénit le ciel qui, demain,

Rendra fécond le sol qu’il aime.

 

Eudore Éventurel.

 

Le Canadien (Québec), 16 novembre 1883

L’illustration ci-haut est celle de la violoncelliste et interprète Jorane qui livre une fort belle chanson, d’une infinie douceur, sur un poème d’Eudore Éventurel, La Tombe ignorée.

Vous pouvez écouter ici cette chanson magnifique.

 

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Marie-Andrée Beaudet #

    Merci Jean pour ces partages. J’ignorais que Jorane avait mis en musique et interprétait si magnifiquement un poème d’Eudore Évanturel. Quelle beauté! Guy Champagne a proposé des poésies d’Évanturel une très belle édition critique qui a le grand mérite de lui redonner sa voix première, celle que les autorités cléricales de l’époque avaient altérée, muselée.

    9 novembre 2017
  2. Jean Provencher #

    Quel rendu magnifique de Jorane, avec grand respect. et quelle beauté, quelle douceur, quel grand calme, ça berce.

    Je vais tenter de retrouver cette édition critique de Guy Champagne ; je découvre ce grand poète à l’instant à travers ce poème qui s’en allait à la dérive dans les pages d’un journal ancien.

    Merci beaucoup, chère Marie-Andrée.

    9 novembre 2017

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS