L’aura-t-on, cette bordée ?
De toutes les fêtes dans l’année, la Sainte-Catherine (le 25 novembre) m’apparaît une véritable fête que s’est donnée le peuple québécois. Bien rares sont les documents historiques officiels qui l’évoquent. Mais qu’on en parle ou non, la population n’en a cure, elle attend ce jour, l’espère et sait fêter le moment venu.
Et une Sainte-Catherine sans sa bordée déçoit, car la fête n’est pas tout à fait complète alors. Alors pourquoi espère-t-on tant cette bordée ? Les raisons sont diverses. Voyez, par exemple, ce qu’écrit le journal Le Soleil, le 23 novembre 1908 :
Les chemins par le temps qui court ne sont convenables ni pour les voitures à lisses ni pour les véhicules d’été, ces derniers ne faisant que zigzaguer sur la route tandis que les autres nous écorchent les oreilles en glissant sur les cailloux de la chaussée, voire même sur l’asphalte. À la campagne comme à la ville, une bonne bordée de la Ste-Catherine est attendue avec impatience.
La neige de Sainte-Catherine nous fera donc de belles routes.
Le 24 novembre 1894, le Quotidien de Lévis exulte : Le temps s’est refroidi et le temps est à la neige. On peut donc s’attendre à la bordée de la Ste-Catherine.
Le 24 novembre 1902, nous informe le journal Le Soleil, la neige arrive 24 heures avant le temps : Hier, la température a changé tout à coup et s’est abaissée de plusieurs degrés jusqu’au point de nous apporter de la glace sur les trottoirs et les rues. Ce matin, le temps est plus doux et il tombe une neige assez abondante. C’est la bordée de Sainte-Catherine.
Le 24 novembre 1894, le Quotidien de Lévis prévient : C’est demain la Sainte Catherine, patronne des philosophes. On réveillera dans plusieurs foyers les belles traditions du passé. Espérons que la bonne Sainte nous enverra sa bordée coutumière, et que la belle tire dorée s’étalera partout sur la belle neige argentée.
Voilà. Le mot est lâché. On espère une bordée, d’abord et avant tout, pour pouvoir étendre la tire sur la neige. La veillée au programme sera d’autant plus joyeuse.
Aussi se montre-t-on déçu lorsque la neige n’est pas là en bonne quantité pour la Sainte-Catherine. À Montréal, La Presse du 25 novembre 1904 écrit : Avec la Sainte-Catherine nous arrive la première neige. Cependant, elle est si ténue qu’elle se résout en pluie avant d’avoir touché le sol. Contrairement à l’habitude, il n’y aura donc pas de neige, ce soir, pour faire refroidir la tire de la Sainte-Catherine, à moins que la température ne tourne au froid. Il y a longtemps que la neige s’est faite autant attendre que cette année. Il est vrai que nous avons eu quelques grains de neige le 27 octobre, mais en si petite quantité qu’il a été impossible de la mesurer à l’observatoire de l’hôtel de ville. Depuis les derniers dix ans, en consultant les archives du bureau météorologique municipal, qu’il est toujours tombé quelque petite bordée de neige en octobre ou en novembre. […] Cette année, bien que nous voici arrivés le 25 novembre, nos rues attendent encore leur joyeuse parure hibernale.
Mais La Presse ajoute tout de même : Aujourd’hui, jour de la Sainte-Catherine, cette fête essentiellement canadienne par les coutumes si joyeuses qui saluent son trop court passage, tous les foyers où battent des cœurs vraiment patriotiques se pavoisent de ces mille petits riens de l’art décoratif populaire, et les tristesses de la vie y sont oubliées dans les joies d’une réunion des plus intimes. Dans toutes les classes de la société, on célèbre la Sainte-Catherine de la même façon, avec plus ou moins de décorum, d’étiquette et d’apparat, mais, partout, la tire et la danse se partagent les suffrages des groupes divers. C’est à la campagne, surtout, que la Sainte-Catherine est pittoresque. La bonne vieille franquette de nos ancêtres remplace les savants ennuis de l’étiquette des riches salons, et l’entrain des jouvenceaux et jouvencelles fait pâlir le plaisir semi-fictif des dandins et des précieuses. Tout le monde est joyeux à sa manière, ce jour-là, même les personnes autrefois jeunes qui ont irrémédiablement coiffé la sainte martyre, ou qui sont menacées, comme elle, de terminer leur existence terrestre dans les ennuis du célibat. C’est l’espoir qui renaît, et qui sait ?… peut-être que la tire blondement auréolée inspirera quelque rêve doré à un »parti » trop craintif. Jusque dans les collèges et dans les écoles, on célèbre la fête, mais, ici, la ration est moins forte. Cependant, ce soir, lorsque les salons seront resplendissants de lumière, que les musiciens, du chef d’orchestre à l’humble violoneux, auront attaqué leur pièce d’ouverture, combien penseront qu’il se trouve des malheureux, là tout près, qui n’ont jamais su ce qu’était un jour de fête, qui ignorent même le goût de la tire, tant leur vie semble être comptée de jours de deuils et de souffrances.
Le 25 novembre 1898, c’est plutôt carrément la tempête à Montréal. La Patrie écrit : C’est la Ste-Catherine, la fête des vieilles filles, celle aussi des jeunes enfants qui se réuniront, ce soir, autour du foyer pour étirer la tire dorée, ou jeter le liquide bouillant sur la neige blanche. La neige ! mais elle tombe en tempête, poussée par un vent violent. La bordée traditionnelle ne nous fait pas défaut cette année. Et quelle joie pour les tout petits à l’espérance de la gommette gelée qu’ils dégusteront ce soir. En effet, ce soir, dans les palais qui bordent nos rues comme sous la mansarde, dans les plus riches maisons de nos campagnes comme sous le chaume, ce sera fête et réjouissances. C’est la Ste-Catherine, la fête des vieilles filles, celle des jeunes enfants, celles aussi des garçons et des filles qui ce soir vont s’en donner à cœur joie, autour de l’orchestre de la ville ou du violoneux du village, dirigeant leurs valses cadencées ou leurs danses emportées, autour de la table où repose sur la neige blanche la tire dorée. Et, pendant ce temps, la neige tombe en tempête, poussée par un vent violent, et le pauvre qui tend la main au coin de la rue me demande des sous pour que chez lui aussi la joie et la gaieté règnent ce soir. Riches qui passez, jetez votre obole dans l’escarcelle pour qu’un rayon de bonheur illumine ce soir la mansarde comme le palais, le chaume comme l’habitation des riches.
Nous pourrions poursuivre ainsi ces écrits sur la Sainte-Catherine, une fête que s’est donnée le peuple. Pour notre plus grand bonheur, les journaux ne se privent jamais d’en parler. D’ailleurs, c’est au cours de ma longue recherche dans les journaux québécois du début du 20e siècle que j’ai appris que nous étendions la tire Sainte-Catherine sur la neige. Je n’avais jamais trouvé auparavant, en plusieurs années de pratique, de document faisant mention de ce fait.
Or, vous savez, la convention voulait que la Sainte-Catherine ouvre l’hiver. Et on célébrait ce moment en étendant la tire à la mélasse sur la neige. Quelque quatre mois et demi plus tard, on célèbrerait la fin de l’hiver en étendant, cette fois-ci, la tire d’érable sur la neige.
J’aime savoir que nous avons imaginé un jour ouvrir et fermer cette saison longue, blanche et bleue, avec de la tire étendue sur la neige, une tire répondant à l’autre à distance. La Sainte-Catherine, voilà une fête absolument inventée, conçue, pensée par le peuple, ce qui est bien rare.
L’illustration ci-haut fait la une du journal La Patrie du lundi 25 novembre 1901.
Pour tout savoir sur la tire, courez à cette capsule de l’Office québécois de la langue française: http://www.oqlf.gouv.qc.ca/actualites/capsules_hebdo/tire_kiss_papillotes_20091022.html
C’est tout de même magique de vous retrouver ici après avoir tant apprécié votre manière de voir, de raconter notre histoire. !
Je serai une lectrice assidue.
Jeanne
Merci beaucoup, chère Jeanne.