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Deux poèmes de Suzanne Paradis

En 1960, Gilles Vigneault, à Québec, et ses amis, comme Cécile Cloutier, Jean-Paul Plante, Suzanne Paradis, Raymond Laberge, Claude Fleury et Jean Miville-Deschênes, animent une revue de poésie — Emourie — faite de poèmes paraissant ou à paraître aux Éditions de l’Arc, ayant pignon sur rue au 1033, rue D’Artigny.

Je vais vous dire, nous sommes durs pour notre monde. La mémoire n’est pas notre fort. Pourquoi ces gens, la plupart toujours en vie, ne sont pas invités à la Maison de la Littérature, à Québec, maintenant ouverte depuis tellement de mois ? Certains là-bas ont l’impression d’avoir gagné leurs épaulettes bien de bonne heure. Qui sait qu’il y avait quelqu’un avant eux qui écrivait ? Non pas avec des ordis, du numérique dernier modèle, les écrans et tout le tralala, mais un crayon, du papier, au mieux une dactylo et du « liquid paper », diable ! Et la longue persistance, le long acharnement, la traversée du temps que n’ont pas encore connus, vécus ceux et celles qui se croient arrivés ?

Chère culture !

Suzanne Paradis est du groupe d’hier. En 1960, elle a 24 ans; aujourd’hui, 80 ans. Et ce qu’elle publiait déjà annonçait tant ! Dans le Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord (Fides, 1989), de Réginald Hamel, John Hare et Paul Wyczynski, on reconnaît sa fulgurance. Jean-Guy Pilon parle de son souffle intarissable qu’elle retrouve de recueil en recueil, et de sa ferveur de vivre. Lise Gauvin, de son monde de nuances et d’envoûtement qui lui est propre. Réginald Martel, d’un des écrivains majeurs du Québec. Gabrielle Gauvin, d’un de ses romans qui « est beau comme un miracle ».

Mais question. Qui a même souvenance de Suzanne Paradis ? Qui sait même ce qu’elle devient ?

La voici, à 24 ans, dans l’Emourie, qui, déjà, annonce tout cela.

 

Funérailles

Je ne serai pas lourde à mettre en terre

je pèse le poids d’à peine un désir

d’un oiseau lancé du bout de la terre

et qu’un seul roseau porte sans souffrir.

 

Je veux un cerceau tout brûlé de terre

un cheval qui passe et qui rue exprès

pour m’ensevelir en vivante terre

apportée des prés et des grands marais.

 

Puis romps les enfants aux danses prochaines

depuis trop de jours ils ont oublié

comme on fait les bonds comme on fait la chaîne

les cheveux troublants et le col plié.

 

Je ne serai pas triste, pour la fête

choisis les enfants parmi les plus gais,

et dis à la mort, crie-lui à tue-tête

si Dieu n’est pas là que je l’attendrai.

 

* * *

Généalogie

 Et la mer monte à mes oreilles

c’est la mer morte de mon sang

couleur de vin des vieilles treilles

qu’on vendangeait en seize cents.

 

Depuis alors que de rivages

de flux et de reflux en passant

de cités en îles sauvages

ont bercé mon cœur incessant.

 

Je vous connais tous mes ancêtres

jeunes filles et jeunes gens

aussi pauvres que l’on puisse être

de gloire de nom et d’argent;

 

mais pour porter au cœur du monde

ceux que vous serez après moi

pour les unir dans une ronde

je n’ai pas trop de tous vos bras.

 

La photographie provient du dictionnaire d’Hamel, Hare et Wyczynski, p. 1062.

Salutations à Vous, Madame Paradis.

Et aux autres, n’en soyez pas surpris, je ne fais qu’un rappel pour les miens, à peu près maintenant oubliés de beaucoup. Chère mémoire !

6 commentaires Publier un commentaire
  1. Une belle découverte… et dans ces moments je me dis…
    VIVE Internet… les mots se promènent sur notre balcon…
    on a juste à ouvrir et cueillir. ..

    C’est -y pas beau ça !

    3 octobre 2017
  2. Jean Provencher #

    Ah, chère Gertrude, que votre mot est réjouissant !
    Et vous avez bien raison.
    Brigitte Fontaine, elle, écrivait en 1975 : Il y a des baisers qui circulent et nous ne les voyons pas.
    Merci beaucoup !

    3 octobre 2017
  3. Michel Pleau #

    Monsieur Provencher, je viens de lire votre texte qui me touche profondément. Je cherchais sur Internet une photo de Cécile Cloutier (dont je viens d’apprendre le décès) et je suis arrivé jusqu’à ce beau cri du coeur pour la mémoire de nos poètes. Ce que vous dites est tellement vrai ! Ceci en particulier: « Et la longue persistance, le long acharnement, la traversée du temps que n’ont pas encore connus, vécus ceux et celles qui se croient arrivés ? »

    j’ai beaucoup de livres de Suzanne Paradis chez moi et j’y retourne souvent

    MERCI

    6 octobre 2017
  4. Jean Provencher #

    Merci, Monsieur Pleau, merci beaucoup à vous. Je ne savais pas le décès, malheureusement, de madame Cloutier. Je vais transmettre la nouvelle en France à un ami qui l’aimait beaucoup.

    Prenez soin de vos livres de madame Paradis. On en voit un, très rarement, ici et là, chez les bouquinistes, ce qui est bon signe selon moi. Ses lecteurs tiennent à les conserver.

    6 octobre 2017
  5. christian boudreault #

    Je m’appelle Christian Boudreault et j’ai tres bien connu Suzanne Paradis en 1960. J’avais 11 ans.J’ai cherché a la revoir depuis 10 ans mais j’ai perdu sa trace. Je l’ai connu au manoir de Val Menaud et toute ma famille se souvient tres bien de cette belle et gentille dame. J’aimerais bien la retrouver pour lui dire que nous l’aimions énormément. J’appris par coeur plusieurs de ses poemes.

    30 juin 2018
  6. Jean Provencher #

    Merci beaucoup, Monsieur Boudreault. Moi, je l’ai connue dans les tous premiers salons du livre à Québec durant les années 1960. Je sais qu’elle habitait, il me semble, à l’ouest de Québec, genre Saint-Augustin, mais je n’en suis pas certain, vraiment pas.

    30 juin 2018

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