Quelqu’un quelque part a-t-il encore souvenir du Sorelois José Paul ?
José Paul
Parlant de la pesanteur des colis que les voyageurs allant au Nord-Ouest, autrefois, avaient à porter lorsqu’ils devaient «portager», M. l’abbé G. Dugas nous donne les renseignements suivants :
«Un colis pesait ordinairement 90 livres [41 kilos]. Un homme de moyenne force et un peu accoutumé à soulever ces fardeaux en portait deux à la fois. Ceux dont les muscles étaient solides en portaient jusqu’à six, quand ils voulaient faire parade de leur force. Au moyen d’une lanière de cuir suspendue sur leur tête et rejetée en arrière, ils supportaient cette charge sur leur dos et, au pas accéléré, la transportait sur une distance de plusieurs arpents. Le nom d’un certain José Paul a été longtemps célèbre dans les pays du nord par des exploits de ce genre.»
Ce José Paul était né à Sorel. C’est du reste la patrie de la famille de ce nom, car tous les Paul que j’ai connus, y compris l’un d’eux qui est mon oncle par alliance, venaient du coin de terre baigné par le Richelieu et le Saint-Laurent.
Étant de Sorel, notre Paul avait aussi le bras mortel, suivant le dicton populaire. Aussi était-il boxeur comme Cockney et, lorsque l’envie lui prenait d’administrer des coups de poing, ce qui semblait être un des besoins périodiques de sa nature, il lui fallait trouver un adversaire. Un seul homme, paraît-il, parvenait à le maîtriser dans ses moments de boxomanie, et cet homme n’était autre que le fameux abbé J, Crevier, un colosse dont nous aurons à parler prochainement.
L’histoire n’a pas tenu compte de ses batailles et, comme les journaux de sport étaient rares à cette époque dans les vastes et sauvages plaines de l’Ouest, il nous a été impossible de relever la liste de ses adversaires. Tout au plus peut-on conjecturer qu’il dut se rencontrer, un de ces jours, avec le nommé Larocque, autre batailleur fameux des pays d’En-Haut, que la Compagnie du Nord-Ouest gardait à son service en qualité de «boulé» et que le match entre ces deux champions de la force brutale a été homérique.
Mais si nous ne savons rien des batailles, nous avons une anecdote qui nous prouve que José Paul avait une charpente osseuse solidement attachée des muscles d’acier. C’est l’abbé G. Dugas qui relate la chose dans deux de ses ouvrages.
Une fois, dit cet intéressant historien, dans un magasin de la Compagnie de la Baie d’Hudson, un commis voulut essayer les forces de José Paul. Il avait entassé dans un coin un certain nombre de barils de sucre du poids de cent livres, et en avait rempli un de balles de plomb. Le commis pria Josée de bin vouloir lui passer les barils de sucre sur le comptoir, se promettant bien de rire quand arriverait le tour du baril de balles.
Il y avait du monde dans le magasin. Un baril de sucre ne pesait pas au bras de José; aussi les passait-il lestement au commis. Tout à coup, il s’aperçoit du tour qu’on a voulu lui jouer; il vient de saisir les balles. Alors, comme Samson arrachant les portes de la ville de Gaza, il fait un effort suprême, lève cet énorme fardeau au bout de ses bras, puis le rabat de toutes ses forces sur le comptoir. Le commis ne riait plus : le comptoir, écrasé sous un tel poids, se brisa en morceaux. Le plancher même est enfoncé, et les balles roulent au fond de la cave. «Tiens, dit José, quand vous voudrez rire de moi, vous vous y prendrez autrement.»
E. F. Massicotte [sic].
La Patrie (Montréal), 19 novembre 1906.
L’image des boxeurs en plein travail est extraite d’un livre à colorier non paginé, Les sportifs, des Éditions de l’Axe (Drummondville, Québec), un ouvrage sans mention d’auteur, non plus que de date de publication. La couverture porte simplement ce repère : C 1911.