En 1889, le chroniqueur du journal Le Monde illustré, Léon Ledieu, n’en revient pas qu’on abolisse la langue française au Manitoba et qu’on cesse l’enseignement du français en Ontario
Comme tous les journaux, littéraires aussi bien que politiques, s’occupent de la grande question de l’abolition de la langue française dans Manitoba, et de la cessation de son enseignement dans Ontario, je crois avoir le droit de rappeler quelques souvenirs historiques à ce sujet.
Ceci se passait en 1842 [deux ans après l’adoption de la loi de l’Union du Bas-Canada et du Haut-Canada], en pleine chambre, alors que l’usage de la langue française était interdit, puisqu’il avait été aboli par l’acte d’union.
M. [Louis-Hippolyte] LaFontaine venait de se lever pour la première fois afin de discuter un point de politique quelconque (vous voyez que je ne veux pas en faire) et commençait à s’exprimer en français, quand un autre député, M. Dunn, lui demanda de parler en anglais et s’attira la réplique suivante, admirable d’énergie et de patriotisme :
L’honorable membre qu’on nous a si souvent représenté comme un ami de la population française a-t-il donc oublié que j’appartiens à cette race si horriblement maltraitée par l’acte d’union ? Si c’était le cas, je le regretterais beaucoup.
Il me demande de prononcer dans une langue autre que ma langue maternelle le premier discours que j’ai à prononcer dans cette chambre ! Je me défie de mes forces à parler la langue anglaise.
Mais je dois informer l’honorable membre, les autres honorables membres et le public, au sentiment de justice duquel je ne crains pas d’en appeler, que quand même la connaissance de la langue anglaise me serait aussi familière que celle de la langue française, je n’en ferais pas moins mon premier discours dans la langue de mes compatriotes Canadiens-français, ne fut-ce que pour protester solennellement contre cette cruelle injustice de cette partie de l’acte d’union qui tend à proscrire la langue maternelle d’une moitié de la population du Canada.
Je le dis à mes compatriotes, je le dis à moi-même.
Quel courage ! quelle noblesse ! quel défi !
Ah ! ce fut une belle journée que celle où l’on vit un vaillant, un vaincu cependant, se lever ainsi et jeter à la tête des vainqueurs ces paroles vibrantes comme les notes du clairon qui sonne la charge ! Ces mots là font leur trouée en passant dans les rangs ennemis.
Le Monde illustré (Montréal), 14 septembre 1889.
La photographie de Louis-Hippolyte LaFontaine (1807-1864) est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec dans le Vieux-Montréal, Collection Charles Robert William Gordonsmith, Épreuves noir et blanc, cote : P32,S4,P4.