La vie folle d’un facteur montréalais à quelques jours des Fêtes
Plaignons ces pauvres facteurs !
D’après les dernières statistiques, les souhaits de Joyeux Noël et de Bonne Année seront de beaucoup plus nombreux cette année que par le passé.
S’il fallait faire un peu de psychologie et surtout croire à la sincérité de tous ces souhaits qu’on se fait mutuellement un fois l’an, nous pourrions conclure que les hommes deviennent meilleurs, fraternisent davantage, et que le fléau de la guerre est sur le point de disparaître de la surface de la terre. Mais ce serait un vain rêve et nous avons bien d’autre chose à faire que de nous occuper des rêves. […]
Mais revenons à nos braves facteurs.
Nous avons déjà dit dans les colonnes de notre journal qu’ils étaient, pour la plupart surchargés de besogne et que le spectacle était vraiment pénible de les voir sortir du bureau de poste, chargés comme des mulets. Va sans dire que, dans le temps de Noël, la charge doit être double, et cela pour jusqu’après les Rois.
Le représentant de La Patrie a donc guetté ce matin la sortie des facteurs de l’hôtel des postes pour leur première ronde, et il a pu en aborder un à la figure franche et ouverte, et l’air assez bien portant pour croire qu’il ne se plaindrait pas pour peu de chose. Nous avons recueilli de sa bouche les quelques renseignements suivants.
Il y a cinq services par jour; trois le matin et deux l’après-midi. La plupart des malles arrivant pendant la nuit, les services du matin sont plus considérables que ceux de l’après-midi. Le premier service surtout, celui de huit heures, est parfois débordant, le lundi surtout.
Certains facteurs du centre de la ville ont eu à distribuer pendant ce premier service de 18, 20 et 21 paquets, soit de 4,500 à 5,000 lettres par jour. Cela sans compter les journaux et autres colis. On voit d’ici la charge que cela peut faire pour un seul homme. Et nous sommes réellement surpris qu’il n’y ait pas plus d’erreurs dans la distribution. Les autres services sont un peu moins considérables. On peut tout de même dire que la moyenne de lettres et colis transportée par chaque facteur par jour est de six à sept mille.
Les facteurs qui vont en dehors du centre des affaires sont parfois un peu moins chargés, mais en revanche ils ont un circuit plus long à parcourir.
Si l’on songe maintenant que pendant le temps des Fêtes de Noël et du Nouvel An, la quantité de malles est presque doublée et que le nombre de facteurs reste toujours le même, il nous est permis de croire que nos braves facteurs ne chôment pas et que même ils verraient d’un bon œil l’initiative du gouvernement qui augmenterait leur nombre.
On n’est pas des bœufs après tout.
Si la profession de facteur a des charmes par les belles journées de printemps ou d’été, il faut qu’elle en ait moins par les grands froids d’hiver quand, les doigts gourds et les oreilles au vent, il faut aller de porte en porte distribuer à chacun la bonne ou la mauvaise nouvelle.
La Patrie (Montréal), 20 décembre 1905.