Un carnaval-hommage au fleuve Saint-Laurent
Le Québec a connu de nombreux carnavals depuis le premier, celui de Montréal, au début des années 1880.
Mais ce carnaval-ci va battre de l’aile rapidement. Les grandes compagnies de chemin de fer s’opposent à un pareil événement de peur qu’on effraie les étrangers, et s’en prennent au palais de glace, laissant croire que la métropole est une ville de froid.
Un quidam du nom de Gérin Normand continue, lui, de croire à ce carnaval. Pourquoi ne pas rafraîchir l’événement et le centrer sur un hommage au fleuve Saint-Laurent ? Il écrit à l’hebdomadaire montréalais Le Bulletin qui fait sa une avec la lettre, le 6 décembre 1908.
Va pour le palais de glace, puisqu’il ne saurait y avoir décemment un carnaval sans cela. Nous admettons, cependant, que nous eussions préféré quelque chose de plus nouveau.
Si nous avions une suggestion à faire au comité d’organisation du carnaval, nous soumettrions celle-ci :
Une illumination générale des grandes artères de la ville, tous les soirs, au moyen de lumières électriques multicolores suspendues au-dessus des rues et aux façades des principaux édifices publics ou des grands établissements de commerce.
Une grande fête de nuit, y compris une procession, non pas de simples raquetteurs, mais de chars allégoriques, mus par l’électricité, au moyen du trolley de notre tramway urbain.
On ne se figure pas l’infinité de ressources que procurerait cette innovation si simple, dans l’organisation d’une fête destinée à jeter du lustre sur nos hivers canadiens, depuis très longtemps suspects à l’étranger.
Une telle démonstration ne porterait pas ombrage au «Palais», dont les hautes tours et les imposants créneaux donneront asile aux belles traditions d’un quart de siècle en arrière.
Du nouveau ! N’ayons pas peur de faire du nouveau. Suivons le progrès moderne et sachons aller de l’avant.
Encore un mot.
Pourquoi cette féérie, que nous entrevoyons si belle, ne serait-elle pas le signal du couronnement de Sa Majesté St-Laurent qui, ayant quitté pour une heure son humide caverne, vient triomphalement prendre possession de son «palais de crystal» [sic], où il recevra les hommages des mortels éblouis ?
Un tel spectacle serait unique en son genre et il serait possible, avec un peu de tambour et de cymbales, d’amener les habitants de la Floride pour en admirer l’originalité et la splendeur.
C’est une simple suggestion; elle ne coûte pas cher. Mais peut-être vaut-elle la peine d’être étudiée.
Gérin Normand.
Dans la semaine qui suit, un lecteur invite Normand à préciser sa pensée. Aussi revient-il sur le sujet dans l’édition du Bulletin du 13 décembre 1908.
Quoi de plus poétique que [la légende] du vieux roi St-Laurent qui, chaque hiver, alors que la glace cache à nos yeux les splendeurs de son domaine, quitte mystérieusement sa prison pour faire une visite aux mortels ? Le peuple lui fait la fête, l’escorte, le choie, et, comme sous l’effet magique d’une baguette de fée, s’élève une étrange forteresse, faite de cristaux étincelants et dont le patriarche fera sa demeure durant son séjour parmi nous.
Voilà qui a l’air enfantin, diront les esprits forts, mais j’aimerais connaître quels arguments pourraient faire valoir les autorités du Pacifique Canadien et du Grand Tronc à l’encontre d’un projet présenté dans de telles conditions.
En cessant d’être la manifestation d’un sport canadien [la raquette] pour devenir l’objet d’une simple récréation de carnaval, le palais de glace aura cessé d’être l’épouvantail qu’il est aujourd’hui, et ceux qui ont en mains les destinées de notre commerce et qui coopèrent si largement à notre expansion nationale, en stimulant l’immigration européenne ou autre, ne pourront plus s’objecter à donner leur inestimable concours à la réalisation d’une entreprise qui a, en somme, plus de bons côtés qu’elle en a de mauvais.
Dont acte.