Les chansons populaires de France
Un jour, il y a bien 50 ans, ma foi, cette phrase du géographe Pierre Deffontaines m’a beaucoup marqué :
Cet hiver constitua comme un bastion pour le vieux fond français; alors on n’entend plus parler que la vieille langue; les fêtes et les longues veillées maintiennent le souvenir de l’ancien folklore.
Extrait de L’homme et l’hiver au Canada (Gallimard et Éditions universitaires, Laval, 1957).
Un jour, m’étais-je dit alors, j’écrirai sur l’hiver. Étonnamment, on dirait que j’y travaille depuis 50 ans, sur les quatre saisons du moins. La vieille langue qu’il évoque, nous étions une quarantaine à échanger sur elle le 10 mars dernier, à Saint-Nicolas. Le bonheur ! Parlons de l’ancien folklore alors.
Le 8 décembre 1905, à Montréal, grâce à l’Alliance Française, on reçoit la visite du bibliothécaire du Conservatoire de Paris, Lucien Tiersot. Il entretient son auditoire du «Jardin du vieux souvenir», celui de la chanson française. Le journaliste de La Patrie est séduit, «on gardera le souvenir, dit-il, d’une délicatesse remarquable».
Les simples chansons de nos paysans de France ne s’attendaient pas, dit le conférencier, à l’honneur qu’on leur fait depuis quelque temps. Nées dans les campagnes, au milieu de populations simples, elles furent longtemps ignorées de ce que l’on appelle le monde. Maintenant l’on s’occupe partout de la chanson populaire, elle pénètre dans les plus nobles réunions, franchit les mers et revient dans ce Canada où elle évoque de lointains souvenirs.
Après avoir cité la définition de la chanson de Jean-Jacques Rousseau, le conférencier ajoute : «La chanson du paysan, la chanson populaire est un art bien spécial dont les origines sont des plus reculées et que la mémoire des gens du peuple nous a transmise.
«La chanson populaire est une fleur des champs, elle vit au jardin des vieux souvenirs. […]
M. Tiersot cite un recueil de chansons canadiennes de M. [Ernest] Gagnon, dans lequel on trouve de vieux airs rappelant ceux de l’ouest de la France.
Depuis plusieurs années, M. Tiersot fait des voyages de recherches à travers les campagnes des Alpes, de la Savoie et du Dauphiné et il a récolté de trois à quatre mille chansons populaires transmises de siècles en siècles. […]
De ces vieilles chansons, le conférencier qui chante de la plus émotive façon nous a fait entendre quelques-unes.
La chanson du Roi Renault revenant blessé à mort au vieux château, au moment où sa femme va le rendre père. Il faut cacher à la malade la mort de l’époux, d’où un dialogue de naïveté et de naturel.
Puis «La légende de Germaine» victime d’une belle-mère (la race n’en est pas nouvelle) pendant que son mari est parti guerroyer. Le retour du marin, l’allégresse de Germaine.
«Le retour du marin» qui trouve sa place prise. On le croyait mort.
Quand le mari
Revint de guerre
Tout doux !
Le pauvre s’en retourne au régiment tout doux.
Puis viennent les chansons que les amoureux allaient chanter le soir sous les fenêtres de leurs belles en leur portant des fleurs. Et bien d’autres encore.
Les chansons rythmiques tiennent aussi une large place dans les chansons populaires.
Les chansons de marche qui aident au soldat à brûler la route sans sentir de fatigue.
La chanson des bateliers, celle des laboureurs, etc.
Après avoir chanté «Le Pauvre Laboureur», chanson tirée d’un manuscrit de Georges Sand, le conférencier chanteur prend congé de son auditoire en ces termes charmants : «Je serai heureux, mesdames et messieurs, si ces chants populaires où vibre l’âme du pays de France vous le font aimer encore davantage.»
L’illustration ci-haut de la chanson Le pauvre laboureur est extraite du petit ouvrage 350 chansons anciennes, publié aux Éditions ouvrières, à Paris, en 1962.