Nous perdons du monde
Savez-vous combien de nos gens sont partis durant les deux derniers mois, pour aller chercher fortune au pays voisin ?
Le Grand Tronc [une compagnie de chemin de fer] en a transporté 15,000 de la seule province de Québec.
Vous entendez, 15,000 de nos compatriotes, tous des Canadiens-français, qui nous ont quittés sans espoir de retour. Ce ne sont pas là des hommes partis pour les chantiers, pour revenir au pays, la saison faite. Ce sont des familles entières qui, ne pouvant trouver à vivre sur leurs terres dans leur pays, lâchent pied au moment des semailles pour aller gagner leur vie avec les Américains.
Ceux-là ne reviendront jamais. Ils ont vendu leur terre, réalisé leur petit bien. Rien plus ne les rattache au pays qui les a vus naître et ne peut plus les nourrir.
Ce n’est plus une émigration, c’est une fuite, une déroute. On dirait qu’un vent de mort et de désolation souffle sur notre pauvre province.
Dans nos campagnes, des villages jadis gais et florissants sont déserts. Les maisons fermées suintent la misère par toutes les planches de leurs fenêtres closes comme à la hâte. Ce frais village, jadis gai et bruyant, est devenu une solitude morne, attristante encore plus avec ces maisons inhabitées, comme si le fléau de Dieu avait passé par là.
La Tribune (Saint-Hyacinthe), 9 juin 1893. L’hebdo maskoutain dit qu’il reprend un article de L’Union libérale.