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Rencontre avec Edmond Rostand

Edmond Rostand et son epouse, Album universel, 20 juin 1903Vous n’êtes pas sans savoir que l’écrivain et dramaturge Edmond Rostand (1868-1918) est l’auteur de Cyrano de Bergerac. Le chroniqueur de théâtre Adolphe Brisson le rencontre à son chalet de Cambo, à quelques kilomètres de Bayonne.

Rostand se plaît beaucoup à cet endroit, confie-t-il au journaliste. «Il se plaît à Cambo; il y rêve; il y caresse de chimériques et de lointains projets, comme d’y créer un théâtre où il réaliserait ses idées de mise en scène; il y médite, il y paresse un peu, délivré de l’esclavage des obligations mondaines, du vain contact de la foule, entouré des chères affections qui suffisent à son cœur et le remplissent. Il me confia l’ivresse qu’il éprouvait de ce commerce assidu avec la nature, du profit qu’il y a à l’interroger, à lui répondre, à écouter les mille voix qui émanent d’elle. Encore faut-il savoir les entendre. Inaccessibles au vulgaire, elles éveillent dans l’âme du poète des sensations qui s’y cristallisent lentement, et dont ensuite ses œuvres s’imprègnent.»

«Ainsi, ajoute Brisson, nous devisions au coin du feu, en agitant divers petits problèmes de psychologie. Celui qui me hantait tout à l’heure et dont je cherchais la solution continuait de me tourmenter et je ne pus tenir d’en toucher un mot à mon hôte.

— Par quelle vertu «Cyrano» a-t-il si soudainement conquis le monde ? Qu’est-ce, au juste, que les étrangers goûtent en lui ?

«Comme Rostand — soit embarras, soit modestie — se taisait, je tâchai d’énumérer les raisons secrètes de ce prodigieux succès, et d’isoler ce qui, dans la pièce, pouvait avoir séduit indifféremment le spectateur anglais, le danois, le slave, le turc, le philosophe d’Heidelberg et le marchand de porcs de Cincinnati. Serait-ce la simplicité classique de l’intrigue, le mélange de la bravoure et de l’esprit, ce qu’on nomme le panache, la bonté du héros, le contraste entre ses disgrâces physiques et sa noblesse morale, cette antithèse qui agrée aux hommes, parce qu’ils croient presque tous s’y refléter ?

— Alors Mme Edmond Rostand, qui suivait malignement ma pédante dissertation et la soulignait d’un fin sourire :

— Il existe des êtres qui répandent autour d’eux la sympathie, tout simplement parce qu’ils ont du charme. N’en va-t-il pas de même pour les choses de l’esprit ?

«Parbleu, la voilà la bonne explication, la seule vraie ! Elle n’explique rien, et c’est la meilleure.

«Oui, je crois que l’œuvre d’art possède une âme qui lui est propre, et qui attire et repousse, et excite des mouvements passionnés. On peut s’éprendre d’un tableau, d’une statue, d’un poème. Entre quinze et vingt ans, j’ai été éperdument amoureux de la Joconde.

«Je ne vous résumerai pas la fin de notre conversation; j’en ai trop dit, et je m’accuse d’avoir ouvert au lecteur la porte d’un logis qui se dérobe aux investigations indiscrètes

La Patrie (Montréal), 22 avril 1905.

 

L’illustration d’Edmond Rostand et son épouse Rosemonde apparaît en page couverture de l’hebdomadaire Le Monde illustré (Montréal) du 20 juin 1903.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Daniel Gagnon #

    Bonjour Jean.
    Rostand a enfanté. Et quelle naissance, du toupet et du pic, de la turbulence dans les coulisses et sur scène. Je me suis souvent identifié à ce personnage qui est devenu un mythe, mi-homme mi-dieu. Cet amant langoureux, fier et altier, inconnu de sa muse qui se délecte de sonnets et de beaux prétendants, porte fièrement sous sa cape tous les attributs de sa « mâlitude ». Il ricoche sur les mots, fait tournoyer les rimes au vent de son épée, il est la plénitude de l’amour vrai et courtois. Ignoré et éconduit, il s’agite tel un corsaire dans les câbles des mats de misaine pour bondir dans l’éloquence en pourfendant les minables rimailleurs. Il aime noblement et meurt en criant son amour qui fut si longtemps à conserver dans le secret de son coeur. Ainsi sommes-nous souvent au hasard de nos rencontres, éblouis par l’éclat qui émane de certaines dames qui éveillent en nous les intentions les plus folles. Vive Cyrano Daniel J. Gagnon

    3 juin 2015
  2. Jean Provencher #

    Cher Daniel, je ne savais pas que tu étais vraiment le frère de ce cher Cyrano, dis donc !!!!! Merci de nous mettre les points sur les «i» à son sujet !!!!!

    3 juin 2015

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