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Il y avait à boire et à manger

Couverture Powys apologie des sens

Durant les années 1970 et au début des années 1980, sont parus un nombre d’ouvrages, nouveaux ou anciens, qui obligeaient à la réflexion qui était disponible et intéressé. Et c’est en traversant ces ouvrages, fort variés, très différents les uns des autres, qu’on arrivait à se définir soi-même, comparant ça et là les approches de chacun.

Voici, par exemple, l’approche de l’écrivain anglais John Cowper Powys (1872-1963), qui s’apparente à l’occasion à celle de Satprem. On a ressorti en 1975 l’ouvrage qu’il avait publié en 1930 à New York et à Londres, Apologie des sens (In Defence of Sensuality). Dès le départ, il écrit que ce livre propose «de battre en brèche certains éléments grégaires de la vie dans le monde contemporain, ainsi que certaines traditions grégaires de l’humanité qui ont force de loi parmi nous, et qui me paraissent en passe d’exterminer à petit feu toute forme de bonheur calme et extatique, le seul qui soit réellement digne d’organismes comme les nôtres, avec derrière eux cette longue histoire et devant eux ces amples espérances». Extrait de l’ouvrage.

On est tenté de croire que, dès l‘instant où une sensation physique quelconque — une vache qui broute, deux amoureux qui s’enlacent, un lézard immobile au soleil, un escargot qui glisse sur une feuille mouillée de pluie, une feuille qui se déplie dans l’air embaumé du printemps, la conscience d’un homme contemplant un peuplier agité par le vent, la conscience d’une femme heureuse d’allaiter son enfant — dès l’instant où, dis-je, cette sensation atteint un certain degré de volupté magique, naît automatiquement le sentiment d’une victoire sur un contraire — victoire de l’amour sur la méchanceté, du plaisir sur la douleur, de la paix sur l’agitation, du bien sur le mal, de la vie sur la mort.

Et même parvenus à ce stade, nous n’avons pas de raison d’interrompre notre tentative de percer le mystère du cosmos. Nous pouvons aller encore plus avant et voir dans ces sensations primitives quelque chose de plus insondable encore. Le ver, le poisson, le brin d’herbe, la planète sillonnant la nuit, la plante qui boit la rosée, la femme que son enfant rend heureuse, l’homme que sa bien-aimée ou le paysage qu’il a sous les yeux rendent heureux, le mendiant heureux de sa tasse de café —chacune de ces consciences, dès l’instant où elle savoure cette qualité particulière de bonheur que j’évoque, a commencé de participer aux origines de la Création du Monde.

Chacun, par le biais de son plaisir propre, devient dieu ! Entre la sensation éprouvée par le vagabond, par exemple, où se mêlent l’indicible soulagement, la détente, l’extase, et la paix, tandis qu’il sirote son café à petites gorgées, et la sensation que doivent éprouver les dieux lorsque, dans l’extase née de l’accomplissement de leur désir, ils contemplent le monde qu’ils ont créé et «voient qu’il est bon», n’existe qu’une différence de degré.

La doctrine héraclitéenne qui insiste sur l’antagonisme, le conflit, la tension, entre deux pôles opposés, se trouve vérifiée dans chacun de ces cas. Et dans tous ces cas aussi, l’intensité consciente du plaisir est ressentie sans conteste — fût-ce obscurément — comme la victoire sur le pôle contraire.

 

Ce texte paru en poche en 1977 est celui publié en 1975 par la Société Nouvelle des Éditions Jean-Jacques Pauvert.

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