Retour à ces poèmes des temps d’hier
Celui-ci est signé M. J. A. Poisson et paraît dans l’hebdomadaire montréalais Le Monde illustré du 7 mai 1887.
Le réveil
L’aube lui. La forge s’allume,
Et s’emplit d’un fauve reflet,
J’entends déjà chanter l’enclume
Et ronfler le puissant soufflet.
Surpris par le bruit de la forge
L’éveille, à la riposte ardent,
Le coq jaloux, à pleine gorge,
Lance son cri rauque et strident.
De toutes les fermes voisines
À ce chant plus d’un chant répond.
L’écho matinal des collines
Le répète au ravin profond.
Alors le paysan s’éveille,
Bénissant Dieu de son repos,
Bientôt arrive à mon oreille
Le bêlement sourd des troupeaux.
L’Orient déjà se colore
D’une teinte aux molles couleurs,
Et les feux de la blanche aurore
Font fuir l’aube aux pâles lueurs.
L’angelus plus tardif appelle
Le laboureur à ses moissons,
Le prêtre à son humble chapelle,
L’abeille aux fleurs des verts buissons.
Puis lorsque le soleil sans voiles,
Émerge au bord de l’horizon,
Éteignant toutes les étoiles
Pour les semer sur le gazon.
De sa voix claire et monotone,
De nos bois orgueilleux chanteur,
Le rossignol gaiement entonne
Un hymne au divin Créateur.
La brume lentement s’effrange
Sur la crête des verts coteaux,
Du sol une buée étrange
Lèche les vallons, les plateaux.
L’homme est au champ, l’oiseau babille,
L’abeille aux fleurs prend son butin,
Moi seul, indolent, je gaspille
Les belles heures du matin.
Les nobles champs de la pensée
N’ont-ils pas aussi leurs sillons ?
D’inutiles rêves bercée,
Alerte, muse, et travaillons !
Car toutes ces voix que j’écoute
Semblent dire en un vaste accord :
Oh ! réveillons coûte que coûte
Le paresseux qui dort encore !