Le vieux mendiant et le rouet
Il y a un farceur à Napierville, capable de farces pas toujours drôles. Le Franco-Canadien (Saint-Jean-sur-Richelieu) raconte celle-ci le 16 novembre 1888.
L’un de ces jours derniers, un mendiant entrait dans une maison des «Étangs» où réside un farceur connu de tous, et notamment des gens du village, pour ses mauvais tours, lequel, pour le malheur du protégé de St Vincent, se trouvait le seul gardien de la maison en ce moment.
— «La charité pour l’amour de Dieu, de la bonne sainte vierge, mon bon monsieur.»
— «Qu’est-ce que vous prenez, brave homme ?»
— «Ah ! mon bon monsieur, toutes sortes de choses à part des coups de pieds.»
— «C’est bien, attendez un instant, le père.»
Et là-dessus, ce farceur disparut par l’escalier conduisant au grenier, d’où il redescendait quelques instants après, pliant sous le poids énorme d’un rouet gigantesque, comme on en voit encore aujourd’hui, mais à de rares intervalles, dans nos vieilles chaumières canadiennes, et comme seules pouvaient le manier nos robustes grand-mères; lequel à en juger pas son état de vétusté avait dû être construit sur le même chantier que l’arche de pépère Noé.
— «Tenez, mon brave, lui dit le jeune homme en lui présentant cette masse énorme, vous prierez la bonne vierge qu’elle m’accorde une blonde nouvelle pour Pâques.»
— «Mais, répartit le mendiant, vous voyez bien que c’est trop pesant pour moi.»
— «Ça ne me fait rien à moi, bonhomme, on ne badine pas avec moi. Tu m’as dit que tu prenais toutes choses à l’exception des coups de pieds, eh bien je te donne ce rouet-là, apporte-le ou je te flambe la cervelle.»
Et ajoutant le geste à la parole, il prit son fusil accroché au mur et mit le bonhomme en joue. Le pauvre diable fut forcé d’ajouter ce poids énorme à son fardeau déjà bien lourd et partit clopin-clopant, suivi de près par ce mauvais plaisant.
Ce ne fut qu’à une assez grande distance de cette maison de malheur, sûr de n’être pas aperçu par son persécuteur, que le pauvre vieux réussit à se débarrasser du malheureux rouet, en le jetant dans le ruisseau.
La gravure de la fileuse d’Edmond J. Massicotte parut dans Le Monde illustré du 13 avril 1901. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec au descripteur «Rouets».