Quand la rumeur s’enflamme ou la différence qui fait craindre
Il nous faudrait une histoire des gens du voyage. Pas que pour la couleur qu’ils apportent dans notre quotidien, mais pour nous-mêmes. Pousser la réflexion à notre sujet.
Les renseignements sur ces ambulants se trouvent dans la presse d’autrefois, alors imaginez le travail. Pourquoi l’errance et la différence nous faisaient si souvent craindre ? Hobos, quêteux, Bohémiens, gypsies, Juifs, Syriens, Italiens, Arabes, Mexicains, tous ces «voyageurs», nous les regardions passer en entrouvrant les rideaux et nous souhaitions vite qu’ils déguerpissent. Une menace planait. Au besoin, prenant panique, nous inventions même une histoire pour dénoncer leur présence.
Voyez celle-ci. Elle se passe à Inverness, dans les Appalaches, en pays profond. L’hebdomadaire La Tribune la rapporte le 19 mai 1893, sous le titre «Enfants volés». Une histoire imaginée, absolument sans fondement. Et elles sont fréquentes.
Grand émoi à Inverness, comté de Mégantic. Il y a quelques jours, quarante voitures arrivaient aux environs du village chargées de paniers, de ferblanteries et de bibelots.
C’était une tribu de Bohémiens qui se déplaçait et continuait sa vie errante.
La population s’amusa des tours des acrobates, acheta des bibelots et ne songea pas à se défier des tziganes.
Mais voilà que tout à coup on entend répéter d’un bout à l’autre du village que les jumeaux, fille et garçon âgés de huit ans, de M. Louis Wilhemer sont disparus. On courut de maison en maison, mais on ne put les trouver. On songea alors aux gypsies. On alla au camp et on constata que l’une des voitures était disparue.
Excité par la douleur, le malheureux père menaça les vagabonds, mais ceux-ci firent semblant de ne rien comprendre.
Sur l’avis d’un juge de paix, M. Wilhemer est parti de suite pour Québec, afin d’avoir l’assistance de la police provinciale.
La population est grandement indignée et on craint beaucoup qu’elle ne fasse un mauvais parti aux Bohémiens.
C’était un bien triste spectacle que de voir cette famille en détresse. Madame Wilhemer est au désespoir. Elle erre partout et demande à grands cris ses enfants qu’on lui a enlevés.
Dix familles de ces Gypsies sont parties depuis la disparition de ces enfants; elles se sont dirigées vers la Beauce.
Le 10 décembre 2012, je demandais «À quand une histoire des gens du voyage ?» Et je concluais ainsi cet article : «Il ne sera pas facile de documenter cette grande histoire des gens du voyage. Où sont leurs archives ? En ont-ils même ? Et qui pourrait témoigner aujourd’hui. Mais il faudrait quand même commencer avant de baisser les bras. Et probablement imaginer un grand tableau peint à toutes petites touches à partir de pareilles descriptions, si courtes soient-elles. Ce serait déjà ça.»
Un pan d’histoire difficile à reconstituer… si ce n’est par les témoignages. Mais, en reste t-il encore beaucoup de ces gens qui les ont vus passer, les ont côtoyés ? Vous avez raison, ne baissons pas les bras, même si les sources sont rares…
Il faudrait refaire tout le casse-tête, avec patience, morceau par morceau. Rappelez-vous, nous avions, par exemple, le bon et le mauvais quêteux, et le banc de quêteux pour accueillir le bon. Il y a des traces de ces gens dans des sources diverses (les histoires de paroisse, par exemple), mais surtout dans les journaux. Et il me semble qu’avec internet, la mise en commun de nos références serait aujourd’hui possible.