Une place pour la poésie
Dans la presse papier d’aujourd’hui, les espaces sont comptés. Mais dans celle d’il y a plus de 100 ans, on échappe à l’occasion le poème d’un inconnu. Pourquoi fait-on le choix de celui-ci plutôt que de celui-là, on l’ignore. Mais quand même, il y a place pour la poésie.
Tiens, prenons le relais de La Tribune du 3 mai 1889 et permettons à la personne qui signe H. G., de Lacolle, de paraître sur la Toile.
Le Printemps
Adieu, rude saison, jours rigoureux et tristes,
Neige, givre, frimas, aquilons, froids autans,
Au fond du ciel vermeil et semé d’améthystes
Sourit le blond printemps.
La terre offre au soleil son pôle plein de glace.
Avril paraît, drapé de rayons éclatants.
L’hiver s’enfuit au loin et nous laisse à sa place
Les charmes du printemps.
Les brises par degré tiédissent leurs haleines,
La neige croule à flots et transforme en étangs,
Métamorphose en lacs nos vallons et nos plaines,
Au retour du printemps.
Les ruisseaux sont remplis d’onde couleur d’orange,
Qui coulent par torrents; autour de moi j’entends
Partout l’air retentir de leur murmure étrange,
Au réveil du printemps.
Le fleuve tuméfié s’épanche sur sa rive;
À sa surface on voit de gros glaçons flottants,
Entraînées par le vent, descendre à la dérive…
Saluons le printemps.
Salut charmant printemps, fin des jours de souffrance,
Les pauvres de te voir sont heureux et contents.
De jours moins incléments donne leur espérance
Aimable et doux printemps.
Farouches compagnons des austères borées
À tire-d’aile on voit s’enfuir les oiseaux blancs
Déployant leur essor vers les froides contrées
Qui n’ont pas de printemps.
Tandis que dans les cieux tout s’éclaire et tout brille.
O barde ravissant revenu dans nos champs,
Vibre le rossignol l’harmonieuse trille…
Harmonieux, printemps.
Le merle s’est posé sur une branche humide,
Fidèle il nous revient avec les doux autans
Célébrer par son chant encore un peu timide
L’aurore du printemps.
Chantez petits oiseaux, notre oreille charmée
Vous écoute chantez, égayez nos instants.
Par vos chants, la nature est soudain ranimée,
Chantez le beau printemps.
Sur les bois dépouillés un jour nouveau se lève,
Pour faire épanouir ses bourgeons palpitants
L’arbre aspire du sol une ascendante sève…
Printemps, fécond printemps !
Quels chants ont retentis dans la forêt voisine ?
De l’érable déjà l’on a taillé les flancs;
Et l’hydromel frémit sur un feu de résine…
Printemps, joyeux printemps !
La nature dormait d’un sommeil léthargique.
Le frigide aquilon nous harcela longtemps.
Tout renaît aujourd’hui sous le souffle magique
Du gracieux printemps.
H. G., Lacolle, 15 avril 1889.