On veut savoir votre héros, votre héroïne de l’histoire du Canada
La chroniqueuse Madeleine, du quotidien montréalais La Patrie, y va d’un coup de sonde : «Quel est le héros, quelle est l’héroïne de l’histoire du Canada que vous préférez ?» Le 19 mars 1904, le journal offre quelques-unes des réponses reçues.
Le héros que je préfère est le brave Dollard des Ormeaux, parce qu’il a sauvé la colonie (1660) avec 16 braves français seulement, contre 700 Iroquois. Le combat dura 10 jours et les Iroquois durent retourner honteux. Après avoir repassé mon histoire plusieurs fois, je trouve Marie-Madeleine de Verchères préférable parce qu’elle suivit l’exemple de sa mère. Elle resta dans le fort avec un soldat et quelques femmes; et à peine âgée de 14 ans, elle soutint un siège de deux jours contre le parti d’Iroquois et les obligea à fuir honteusement (1692). Petite Canadienne de St-Bruno, Co. Chambly.
Comme je suis rendu rien qu’au commencement de mon histoire du Canada, pour répondre à votre question, je ne saurais nommer un autre héros que Jacques Cartier. Il me semble que ce doit en être un bien grand puisqu’on en parle le premier dans l’histoire. Il pourrait peut-être y en avoir de plus remarquables, mais je ne puis pas admirer un courage que je ne connais pas. Et puis maintenant vous demandez une héroïne, il va falloir que je tourne quelques pages de mon histoire. […] Berthe Marchessault, St-Ours, 10 ans. […]
Le héros auquel je donne ma préférence, c’est M. d’Iberville, parce qu’il est un héros Canadien né à Montréal en 1661. Il défendit vaillamment le pays contre les Anglais et lui rendit de grands services. J’aime aussi une héroïne Canadienne, la Vénérable Mère d’Youville, née à Varennes le 15 octobre 1701. C’est la première Canadienne française qui fonda une œuvre de charité semblable à la sienne, la communauté des sœurs Grises pour prendre soin des pauvres et des infirmes. Flora Landreville, âgée de 12 ans. […]
Le héros que je préfère est M. de Salaberry, qui naquit à Beauport en 1778, il est donc un héros Canadien. Il combattit les Américains dans la guerre de 1813 avec trois cents Voltigeurs Canadiens, il les chassa du pays. L’héroïne que je préfère, c’est Madame d’Youville, qui est la première Canadienne qui fonda une communauté religieuse. Les religieuses de cette communauté de charité sont répandues partout dans le Canada. Laurenza Bélanger.
Le héros que je préfère, c’est Montcalm et l’héroïne Mademoiselle de Verchères. À l’âge de 14 ans, elle défendit le fort de Verchères contre un grand nombre de sauvages. Irma Thibodeau, âgée de 10 ans.
Le héros que je préfère est Montcalm, parce qu’il s’est dévoué jusqu’à la mort pour sauver le Canada. L’armée des Anglais était bien plus nombreuse que celle des Français. L’héroïne que j’aime est Mlle de Verchères parce que à 14 ans elle sauva le fort de Verchères et un grand nombre de personnes. Lumina Cloutier.
Moi je donne ma préférence à Frontenac. Il fut longtemps gouverneur de notre beau Canada qu’il sauva des Iroquois. Je l’admire encore pour la réponse qu’il donna au parlementaire anglais : «Je vous répondrai par la bouche de mes canons». M. de Frontenac a mérité le nom de sauveur de la Nouvelle-France. Et l’héroïne c’est la Vénérable Mère d’Youville entre toutes les autres; elle est la première Canadienne français qui fonda une communauté, celle des Sœurs Grises pour soigner les pauvres, les vieillards et les enfants abandonnés. Eva Binette. […]
Le Héros que je préfère est Dollard des Ormeaux parce qu’il a sacrifié sa vie pour le salut de la nouvelle France. L’héroïne que je préfère est la vénérable Mère d’Youville parce qu’elle a fait beaucoup de bien au Canada. Wilfrid Borduas.
Le héros que je préfère est Dollard des Ormeaux parce qu’il était bon et brave. Il a sacrifié sa vie pour son pays. Je préfère Mademoiselle de Verchères parce qu’elle était brave; presque seule, elle sauva le fort du même nom, attaqué par les Iroquois. Charles Painchaud.
Il est très étonnant de constater que, sauf pour Charles-Michel d’Irumberry de Salaberry, ce sont là tous des personnages du Régime français qu’on propose. Et, manifestement, les Amérindiens n’ont pas la belle part.
Le monument de Madeleine de Verchères, à Verchères, est une œuvre créée par Louis-Philippe Hébert en 1913. La photographie prise par Armour Landry vers 1965 provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec dans le Vieux-Montréal, Fonds Armour Landry, Photographies, cote : P97, S1m D7922.
Tout compte fait, les héros nommés ici en 1904 ne diffèrent pas de ceux qu’on nous présentaient comme de valeureux personnages dans nos manuels d’histoire des années 60… et je songe au fait qu’on a déboulonné ensuite certains mythes comme celui de Dollard des Ormeaux…
Aujourd’hui, je nommerais les Patriotes des années 1837-38, sans nécessairement en choisir un plus que l’autre.
C’est vrai ce que vous dites, chère Esther. Et il faudrait voir le discours que tenaient les manuels d’histoire de 1904. Les témoignages des lecteurs de La Patrie s’arrêtaient en 1812-1813 avec Salaberry.
Je suis d’accord avec les Patriotes, mais qu’est-ce que les manuels en disaient ? Si, dans ces ouvrages, on s’en tient au discours de l’évêque Lartigue, de Montréal, qui prônait la soumission aux autorités militaires comme Colborne, les Patriotes n’étaient assurément pas présentés comme des héros.
Il est notable que personne n’ait pensé à Champlain à cette époque. Alors qu’il est LE personnage fondateur. Est-ce que les auteurs des livres d’histoire de l’époque se méfiaient de ce presque protestant?
Tout à fait vrai ce que vous dites. Pourquoi Champlain n’apparaît pas ? Faute d’avoir des vivants de cette époque, il faudrait vraiment voir les manuels d’histoire. Qu’enseignait-on ?