À Trois-Rivières, le parc Champlain
Moi qui suis originaire de Trois-Rivières, je me réjouis de retrouver dans le bi-hebdomadaire de la ville, Le Trifluvien, édition du 16 juillet 1892, un écrit sur le parc Champlain. L’article, non signé, porte le titre de «Notre Parc». Ce parc fut dans l’histoire de la ville un cœur de vie, entre les rues Bonaventure et des Forges, puis Royale et Hart. J’ai encore le souvenir de musique de cuivres, de concerts de fanfares donnés à l’étage du kiosque, les belles soirées d’été. Quel lieu alors ! Et puis ces vieillards, sur les bancs du parc, y allant de leurs propos de sages, si on les y invitait.
Je me tais, voici le texte :
Tous ceux qui visitent ou traversent notre parc du Carré Champlain admirent la grande beauté de ce jardin délicieux. Les arbres sont beaux et forment des arches ombragées continuelles au-dessus des promenades; les pelouses sont d’une verdure charmante, représentant un printemps perpétuel avec une variété de fleurs très bien soignées et très bien cultivées.
Les allées sinueuses, aux contours délicieux, sont entretenues avec un soin et un art minutieux : pas de gravois qui vous blessent les pieds, pas de poussière qui ternit vos chaussure; c’est un vrai parquet élastique qui vous invite à la promenade.
Dans nos chaleurs les plus grandes (et disons que depuis le 1er juillet, elles sont intenses, tropicales), il règne dans ce jardin de fées une fraîcheur et une brise vraiment suaves. Aussi voit-on se donner rendez-vous dans ce petit paradis terrestre une foule de petites voitures élégantes, transportant un variété de beaux bébés que les bonnes de la ville conduisent là, et qu’elles y amusent pour leur santé, comme on voit la chose sur une plus grande échelle au Bois de Boulogne, à Paris.
L’entretien de ce parc fait le plus grand honneur à son gardien actuel. M. David Aubry, qui nous paraît un jardinier distingué et que l’on y voit constamment occupé à embellir ce petit Eden, comme à le cultiver avec beaucoup de soin.
Quelques personnes ont cru qu’en certaines occasions, M. Aubry s’était montré un peu sévère pour faire observer les règlements décrétés par nos échevins pour la conservation des fleurs et des pelouses, ainsi que du bon ordre dans ce jardin. Par exemple, M. Aubry a réprimandé quelqu’un pour avoir voulu marcher sur les pelouses, et, en une autre occasion, pour avoir laissé errer son chien dans le jardin.
M. Aubry a parfaitement raison en cela. Marcher sur les pelouses, c’est en détruire la fraîcheur et les ruiner; laisser les chiens libres dans le jardin, c’est détruire les fleurs, ou bien encore leur faire donner une espèce d’arrosage incompatible avec leur parfum naturel. Tous les citoyens doivent donc encourager M. Aubry dans sa vigilance et ses soins pour le bon ordre et la propreté de notre jardin. Ce fidèle serviteur et ce bon gardien ne mérite que des louanges !
Nous sommes d’avis que, dans les temps de pluie, le soir, et même durant le jour, le carré devrait être fermé. D’abord pour le soir, lorsqu’il pleut, personne ne peut s’y récréer; et, pour le jour, les allées deviennent trop molles à la pluie et tentent les piétons à marcher sur les pelouses. Nos édiles feraient donc bien de donner instructions à M. Aubry de tenir le carré fermé dans les temps de pluie, et plus particulièrement le soir, depuis six heures.
Après cette digression sur le soin et l’entretien de notre beau Carré, nous avons une remarque à ajouter. En arrivant à son centre, qui est entouré si artistiquement, avec des sièges confortables, tout le monde se dit : il ne manque qu’une chose à ce jardin pour sa perfection, une fontaine jaillissante, un jet d’eau !
Ce complément à notre beau Carré serait comparativement facile à exécuter. Pour renvoyer le surplus d’eau à la fontaine, il n’y aurait qu’à poser un tuyau de renvoi d’un petit calibre, depuis la fontaine aux tuyaux dégoût [sic] de la rue Alexandre, une distance de quelques pieds.
Quant à l’eau pour alimenter cette fontaine, notre aqueduc la fournit en surabondance, et il n’y aurait qu’à prendre un tuyau conducteur de la rue Bonaventure, à la fontaine. Une distance d’une centaine de pieds tout au plus.
Mais, une nouvelle intéressante à ce sujet, c’est qu’un de nos riches citoyens qui a beaucoup voyagé dans les villes d’Europe, qui a vu une grande variété de ces jets d’eau et qui occupe lui-même une résidence princière en face du Carré, a l’intention, dit-on, de faire présent à notre ville d’une pareille fontaine, ce qui, pour ce monsieur, serait une bagatelle, mais un fort bon souvenir de lui pour notre ville.
Deux dessins seraient en vue pour cette fontaine. Le premier représenterait le vieux Neptune, monté au centre de la fontaine sur un rocher mousseux, tenant d’une main son trident, enseigne de sa royauté aquatique, de chacune des fourches, duquel jaillirait de petits jets d’eau, pendant que, tout autour du rocher, de petits poissons vivants prendraient leurs ébats.
Le second dessin représenterait trois cygnes, placés en trépied autour du bassin de la fontaine, et lançant en l’air, de leurs becs, des gerbes d’eau jaillissantes, pendant que deux ou trois canards apprivoisés nageraient autour d’eux. Nous publions ici une rumeur, et nous espérons qu’elle est fondée.
Dans tous les cas, en terminant, disons que notre carré Champlain, tel qu’il est, est délicieux, splendide. Avec une fontaine, il n’aurait pas son supérieur, en beauté. Nous manquerions à notre devoir si nous ne disions pas que Mr. Warnecke, notre jardinier distingué, qui a créé ce jardin, qui en a fait les plantations et qui en a aussi habilement contourné les allées, mérite qu’on lui rende ici le légitime témoignage qu’il a fait là une travail tout à fait artistique et qui lui fait beaucoup honneur.
La photographie du parc Champlain à Trois-Rivières vers 1880 provient du site suivant, Passionnés d’histoire trifluvienne, Collection privée Claude Bruneau.
Le parc Champlain que j’ai connu n’était pas aussi planté d’arbres que le montre la carte postale ci-haut; il ressemblait davantage au parc Champlain ci-bas. Et il n’y avait pas de «M. Aubry» pour faire la police. Je n’ai pas souvenance pour autant qu’il y avait davantage d’excès.
Si vous passez à Trois-Rivières, arrêtez-vous au parc Champlain, vous serez tout à fait au cœur de la vie.
Et puis, à quand une histoire québécoise des parcs qui faisaient le bonheur des populations dans les cœurs de ville ?