Les nombreux mystères des lettres mortes
Ce qu’il y aurait de matière à penser, de romans à commencer pour une imagination fertile dans l’écrit ci-joint ! Bilan de tout ce qui s’est trouvé, non réclamé, au bureau des postes du Canada pour l’année 1888. L’article est du journal Le Canadien du 24 janvier 1889.
Nous lisons dans le Canada l’intéressant article qui suit :
La statistique du bureau des lettres mortes pour l’année 1888 révèle des faits qui parlent éloquemment de l’ignorance et de la négligence de milliers de personnes qui confient des missives aux bureaux de poste. Le bureau des lettres mortes est une espèce de dépositaire officiel où l’on amoncèle toutes les lettres ne portant pas de timbres suffisants, toutes les lettres contenant des objets dont l’envoi est prohibé par les règlements des bureaux de poste et toutes les missives dont l’adresse est illisible.
Le nombre de lettres mortes, l’an dernier, a été de 23,899. Ces lettres ont été envoyées par pelletées à Ottawa par les maîtres de poste de tous les points de la puissance.
Parmi ces lettres, 3,844 contenaient de l’argent au montant de $22,034.98, des lettres d’échange pour un chiffre aussi levé, des obligations au montant [de] $103,000, des chèques pour $53,576, des mandats pour $78,524, des mandats de poste pour $12,256, des billets promissoires pour $93,474, sans compter des récipissés, des certificats de stock et plusieurs autres documents de valeur, y compris un bon pour $5.
Imaginez-vous un certificat de mariage déposé aux lettres mortes à cause de l’insuffisance de timbre, et pourtant plusieurs cas de ce genre se sont produits. Pendant 1888, 25 certificats de mariage sont tombés dans le panier. Ensuite il y avait six extraits de baptême et en plus un tablier et un crayon automatique.
Le rapport sur les lettres mortes mentionne entre autres choses un habillement d’enfant, trois boutons pour manchettes, un billet pour la sweepstake du Derby, une paire de pendants d’oreilles dorés, une plume d’autruche et (admirable dictu) un œil de verre, un râtelier de fausses dents. On espère que ces deux objets n’étaient pas destinés à la même personne. Quatre paires de souliers en peau de caribou sont rendues aux lettres mortes, ainsi qu’un briquet phosphorique, une poivrière, six paires de chaussettes, quatre cravates et deux chapelets.
Ajoutons à ces objets 26 montres, une paire de bretelles, deux blagues à tabac, deux reconnaissances de mont-de-piété, deux bandages herniaires et une perruque ! Quelle torture a dû éprouver le destinataire de ce dernier article en attendant cet ornement capiliaire qui reposait tranquillement parmi les lettres mortes sans se soucier de la tempête que sa détention devait causer sous le crâne qu’il devait couvrir. Sunt lacryma rerum.