Sur la conception de l’histoire qu’on se faisait au temps jadis
Comme je suis historien de métier, vous imaginez bien que j’aime tomber à l’occasion sur des textes anciens touchant la conception qu’on se faisait de l’histoire. Ils permettent, en particulier, d’apercevoir tout le chemin parcouru sur l’idée de l’histoire et de ses méthodes.
Voici des extraits de la réflexion d’un juriste, Louis-Joseph Loranger, sur «L’importance de l’histoire du Canada» publiée dans L’Album universel du 22 novembre 1902. Tout un monde largement dispau aujourd’hui.
Combien peu nombreux sont ceux qui connaissent véritablement l’histoire de leur pays ! On apprend très bien l’histoire ancienne, l’histoire du Moyen-Age; on connaît par cœur les hauts faits d’un Annibal, d’un Epaminondas, de Duguesclin.
Mais demandez à cet érudit de vous détailler les hauts faits de ses pères, leurs découvertes et leurs explorations. Rien, ou presque rien.
Pourquoi cette apathie ? Je l’ignore. Mais voici, chers compatriotes, l’occasion favorable de secouer la torpeur qui nous tient engourdis et de reprendre le temps perdu, en sachant reconnaître par notre encouragement les sacrifices que s’imposent les hommes qui veulent bien mettre gratuitement au profit du peuple les connaissances et les talents dont le Ciel les a doués.
Si l’on voulait songer un peu au plaisir que l’on goûte à étudier l’Histoire, aux avantages que l’on peut en tirer pour sa propre instruction, il n’y aurait pas de famille canadienne qui ne consacrerait une heure par jour à la lecture en commun de quelques feuillets de notre histoire nationale.
Pour nous convaincre de l’importance de l’histoire, jetons un coup d’œil sur ce qu’ont dit de l’Histoire les savants les plus distingués.
L’Histoire, a-t-on dit, c’est la science des événements et des faits qui se déroulent à travers le temps, ou encore, c’est le récit des événements sociaux dont l’ensemble constitue la tradition. C’est encore, dit plus poétiquement Cicéron, l’institutrice de la vie, le flambeau de la Vérité, l’œil des nations et le guide de l’humanité.
L’Histoire tire son origine de trois grandes sources :
— De l’expérience propre;
— De la relation des personnes qui ont vu les faits ou ont pu en avoir connaissance;
— Des monuments qui l’attestent.
[…]
Pour bien comprendre l’étude de l’Histoire, il faut rattacher les faits antérieurs aux faits postérieurs, pour arriver ensuite à ce qui est de l’essence de l’Histoire : la vérité.
Pour arriver à ce résultat, l’Histoire a à son service des sciences auxiliaires : bibliographie, paliographie, numismatique, chronologie, archéologie.
Comme on le voit, l’étude de l’Histoire ne permet de jeter un coup d’œil en passant sur les beautés que la nature se plaît à répandre autour de nous; c’est en approfondissant les secrets qu’elle renferme que l’on parvient à connaître exactement le lieu, la date, l’époque de certains faits historiques très intéressants. […]
Si l’étranger cherche à nous connaître, combien, à plus forte raison, devrions-nous avoir à cœur d’étudier ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous sommes appelés à devenir, si nous restons fidèles à notre mission. […]
N’est-ce pas aux sublimes leçons de l’Histoire que nous devons de connaître la main toute puissante de Dieu dans la destinée des nations ?
Elle étend notre existence à tous les siècles, nous rend contemporains des grands hommes, et nous fait sentir l’obligation d’accroître pour la postérité l’héritage que nous avons reçu de nos ancêtres.
Qui, mieux que l’Histoire, conservera la mémoire des hauts faits de nos pères ? […]
La Providence a sur nous ses desseins; à nous, Canadiens, de répondre à l’appel en continuant dans ce pays l’œuvre commencée il y a bientôt trois siècles par nos héroïques ancêtres.
C’est cette fidélité aux vieilles traditions qui a permis à un auteur de dire avec beaucoup d’esprit que le Canada est dans le Nouveau-Monde une des œuvres de Dieu accomplie par les Francs, au moyen des Anglais, «Gesta Dei et Anglorum per Francos».
Cette illustration de Louis J. Loranger apparaît en regard de cet article paru dans L’Album universel du 22 novembre 1902. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, au descripteur «Loranger, Louis J. (Louis Joseph), 1870-1951».