Les Marionnettes de Schwiegerling
En 1900, on ne manque pas de spectacles dans les villes québécoises. Ils semblent souvent, cependant, du pareil au même, avec des artistes plus performants que d’autres à l’occasion. Sorte de répétition des jours. Mais soudain en voici un qui séduit tout à fait les populations et attire fortement mon attention : les Marionnettes de Schwiegerling. Que sont-ce ces marionnettes engagées au prix de 200$ par semaine, une fortune alors ?
Ce spectacle semble tellement hors de l’ordinaire, que les journalistes, dirait-on, arrivent mal à le définir. À l’été 1890, les voici à Montréal.
La Presse écrit : «Il est arrivé à Montréal, ces jours derniers, toute une compagnie d’artistes joueurs de pantomimes et danseuses de ballet dont le talent tient le public sous l’empire d’un charme mystérieux. Ces artistes [les marionnettes], en public, comme dans leur vie privée, sont irréprochables. Ils ne manquent jamais leurs représentations, ni pour des rhumes ni pour des migraines; jamais de mauvais vouloir, ni de nuits de fatigue passées dans les hôtels et les restaurants. Ces artistes, quoiqu’ils aient un corps et un cœur de bois, traduisent les passions les plus fortes et les sentiments le plus délicats de l’humanité. Nous voulons parler des marionnettes qui jouent tous les soirs au Parc Sohmer. Leur jeu dépasse tout ce que l’imagination peut concevoir en fait de mécanisme prodigieux. Nous ne craignons pas de dire, après avoir assisté à la soirée d’hier, que le mécanicien qui les a inventées est aussi fort que le génie qui a créé l’horloge de Strasbourg. Les métamorphoses des acteurs, les pas difficiles des danseuses de ballet, la richesse, la nouveauté et la fraîcheur des décors, tout tient du prodige. C’est la première fois que nous avons vu à Montréal un spectacle aussi amusant. Rien de plus curieux en effet de voir chaque membre obéissant à l’action des ficelles invisibles; le cou tourne, la tête se penche, les yeux s’agitent et les mains se prêtent au mouvement qu’on en exige. En un mot, ces marionnettes paraissent vivantes et animées. Grands et petits, jeunes et vieux se délectent dans ce spectacle merveilleux du mécanisme moderne.»
Le journal L’Étendard (Montréal), lui, cité par Le Trifluvien du 11 octobre 1890, écrit : «On ne tarit pas en éloges sur les choses merveilleuses exécutées par les Marionnettes de Schwiegerling, qui ont passionné tout Montréal, il y a quelque temps et qui attirent encore une foule énorme au Queen’s Hall. Ces êtres inanimés agissent, marchent, dansent, exécutent les choses les plus abracadabrantes avec un naturel, une aisance «qui tient du prodige». C’est tout simplement merveilleux, affirment les moins enthousiastes des spectateurs.»
Après leur passage à Trois-Rivières les 13 et 14 octobre 1890, Le Trifluvien note le 15 octobre : «Les Marionnettes de Schwiegerling sont épatantes de naturel et d’agilité. Elles ont enthousiasmé tout le monde. Qu’il nous suffise de dire que des hommes de tout âge, des gens sérieux, paraissaient les voir avec autant d’intérêt que les enfants.»
Sur internet, on dit que Schwiegerling était «l’un des montreurs de marionnettes les plus connus de l’Allemagne». François Amy de la Bretèque, dans un article qui a pour titre «Le théâtre des marionnettes, forme modélisante méconnue du cinéma des premiers temps», cite un Allemand du nom de Walter Benjamin ayant vue à Berlin en 1918 un spectacle de Schwiegerling, «dont la description, aujourd’hui, fait immanquablement penser aux films de Méliès […] : personnage enlevé dans les airs par un ballon, orgue de Barbarie qui se replie en laissant s’échapper des colombes qui s’envolent, clown qui sort de sa manche un autre clown plus petit et ainsi de suite une douzaine de fois, et même une décollation publique qui n’est pas sans faire penser aux (truquées) exécutions capitales filmées par Edison».
Allant plus avant, toujours sur internet, on voit que le «Professeur Schwiegerling» se produit en Californie avec son «Théâtre Foutouche», proposant 106 «life-like marionettes». La publicité dans le Los Angeles Herald du 23 août 1888 y va de ces mots : «These figures are marvels of mechanical skill and elegantly costumed, together with gorgeous scenery, brilliant tableaux and transformations, introducing Pantomimes, Ballets, and other miniature plays.»
La grande histoire du spectacle au Québec est à faire.
L’illustration vient d’un ami qui tient boutique à Québec et offrait en vente ce jeu de sept marionnettes à fils.
Tiens! Un fait historique sur la présence de la marionnette au Québec dont je ne connaissais pas l’existence. Merci Jean. Sur la toile, il y a même un lien avec Faust, qui aurait été monté par cette même compagnie. J’ai même trouvé un site où on établit une correspondance entre la facture particulière (mécaniques merveilleuses) cette même troupe et les folles mécaniques du cinéaste Georges Méliès., sujet de notre prochain spectacle! Je jubile…J’aurais bien aimé trouver des images…
J’étais si heureux, cher Pierre, de tomber sur cette visite de marionnettistes. J’aurais tant aimé voir ce spectacle, qui semblait d’une grande beauté.