Le ras-le-bol des journaliers de Montréal
Au Québec, en 1900, dans le monde des travailleurs journaliers, les syndicats sont encore à venir. Voici ce cri contre le maire de la ville de Montréal et de la majorité des conseillers. Les travailleurs s’adressent au directeur de l’hebdomadaire Le Bulletin, qui publie leur lettre le 1er octobre 1905.
Monsieur le directeur,
En mon nom et au nom de tous mes camarades employés par la Corporation de Montréal, je viens protester dans votre journal contre la manière d’agir du maire Laporte et de plusieurs échevins à notre égard.
À la séance du Conseil, le 15 septembre dernier, M. l’échevin Lavallée a proposé, secondé par l’échevin Major, de porter nos gages de 15 cents de l’heure à 16 1/2c, dès le 1er janvier. Les échevins Couture et Wilson voulurent se montrer plus généreux encore, et proposèrent de porter tout de suite la somme à 17 1/2c. Ce n’est d’ailleurs que ce qu’on nous avait promis de faire aux dernières élections.
Nous en avait-on assez déclamé pour lors des belles promesses dorées ! C’était d’abord $175 par jour, et la journée de 9 heures, s’il vous plaît; l’eau et le gaz à bon marché; le droit de vote pour tous; enfin que sais-je ? beaucoup de beurre, du beurre encore, et toujours du beurre.
Mais, voyez-vous, Monsieur de Batte-en-Beurre et autres sont passés par ici, rendre visite à Messieurs du Comité des Finances. Ils ont mangé tout notre beurre. Et nous autres électeurs naïfs, nous sommes restés avec seulement un petit peu de pain sec, bien peu hélas ! puisque dans certain département, comme celui de l’Aqueduc, nous avons perdu la moitié de notre temps.
Voilà, messieurs les échevins, votre belle, noble et digne conduite vis-à-vis du pauvre peuple. Vous n’avez tenu aucune de vos promesses, et vous n’avez voulu rien faire pour nous. Nous sommes comme Sœur Anne; nous attendons toujours, nous regardons toujours, et nous ne voyons rien venir.
Mais le temps de renouveler votre mandat vient, lui ! l’heure approche où vous chercherez à gagner nos suffrages. Soyez sans crainte, nous nous en souviendrons de chacun de vous, messieurs du Conseil municipal.
Nous tiendrons compte des efforts de ces quatre échevins, qui ont eu assez de cœur, assez d’humanité pour songer à améliorer notre sort, le sort malheureux de nos femmes, de nos enfants, de nos familles.
Quant à vous, les autres, qui nous avez trompés si odieusement, qui avez manqué à tous vos engagements, prenez garde ! Les grandes protestations sentimentales, au moment des élections, ne serviront de rien, et le peuple commence à apprécier comme il convient ces vilaines comédies. Nous allons donner un bon coup de balai électoral dans la salle du Conseil, et nous allons y faire place nette.
Enfin, vous, Monsieur le Maire, qui avez pris, paraît-il, la décision irrévocable de vous retirer, soi-disant pour des raisons de santé, ou pour être agréable aux Anglais, nous vous avouons que c’est une mesure de prudence. Votre façon de procéder aux séances du Conseil, lorsqu’il s’agissait des ouvriers, nous a écœurés ni plus ni moins; chaque fois que l’on se préparait à faire quelque chose pour nous, vous surveniez avec une objection qui renvoyait la motion aux calendes grecques.
Oui, monsieur, allez-vous en de l’Hôtel-de-Ville. Nous sommes désillusionnés sur votre compte et, comme Canadien, vous avez trompé nos plus chères espérances.
UN GROUPE DE JOURNALIERS ET D’EMPLOYÉS DE LA CORPORATION
19 septembre 1905
L’illustration ? Un bien de famille trouvé dans la boîte de photographies de ma mère. Un groupe de travailleurs à Trois-Rivières au début des années 1940. Ces hommes ne sont pas des journaliers, mais des travailleurs spécialisés. Dans la première rangée, tout au bout à gauche, Maurice Parent, un des frères de ma mère, qu’elle aimait beaucoup. Bien jeune, il s’est fait tuer en 1945 à Berthier ou Louiseville, quand, à un passage à niveaux, un train frappa la camionnette de la compagnie qu’il conduisait. Salutations, cher Maurice, cher cousin. Voici ton cher père sur la grande Toile.
Lorsque j’étais jeune enfant, on disait des employés de la Voirie et Travaux publiques de Montréal qu’ils travaillaient pour la Corporation.
Vous venez de m’apprendre l’origine de cette appellation
Mais, dites donc, c’était donc vraiment dans le discours du temps !