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IMMENSE NOUVELLE !

Voyez sur ces deux images le petit oiseau au bec très fin, habillé simplement de diverses rayures, accompagnant des chardonnerets jaunes. Je ne l’avais pas vu depuis un moment.

Il s’agit d’un petit héros, le Tarin des pins, au comportement incroyable, qui déconcerte tellement les ornithologues que certains préfèrent l’oublier plutôt que de tenter de comprendre qui il est.

Son vêtement si ordinaire le rend banal aux yeux des autres vivants, dont l’humain. Il n’est pas triste d’ailleurs de pouvoir vivre sa vie comme il le désire sans être victime d’une beauté attirante. Il aime ne pas passer pour un grand. Autant en emporte le vent, se dit-il.

Même s’il m’en voulait de le dire, il faut qu’il soit connu, si exceptionnel est-il. Écoutez, voici un cadeau. Ce petit oiseau est l’un des grands héros de mon dernier livre, Histoires naturelles. Je vous offre le texte que j’écrivais à son sujet. Bonne lecture. Et gardez ce petit oiseau en mémoire pour le moment où il apparaîtra dans votre vie. Étonnamment, de le rencontrer fait de nous des êtres plus riches.

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L’oiseau inconnu

 Nous avons en Amérique du Nord un oiseau inconnu, le Tarin des pins (Carduelis pinus). Inconnu, car, depuis bientôt 200 ans, certains guides d’identification ornithologiques vont jusqu’au silence à son égard. Les auteurs de ces livres ont peut-être tu l’existence de l’oiseau, car ils craignaient de ne pas bien le saisir, de ne pouvoir l’« interpréter ». D’autres se sont satisfaits de descriptions convenues à son sujet : saison de nidification précise, lieu de nidification connue, l’hiver dans des climats plus doux et l’été dans des lieux plus frais, plus nordiques, etc., comme la majorité des oiseaux migrateurs du continent. Le désintérêt peut-il aussi être venu du manque d’intérêt de la vêture de l’oiseau, celle-ci n’ayant pas la flamboyance de beaucoup d’autres ?

De toute ma quête chez les oiseaux de mon lieu depuis des dizaines d’années, le Tarin des pins est celui qui m’a permis le plus d’apprendre à son sujet. Il s’est installé seul pendant un temps, ce qui me permettait d’observer son comportement en ma présence et au sein de groupes de d’autres espèces, comme le Chardonneret jaune et le Roselin pourpré. J’ai pu aussi l’observer longuement lorsqu’il s’amenait par bourrées, en grands groupes, et demeurait sur place pendant quelques mois.

Et, constamment, j’apprenais du nouveau. Longtemps, je me fiais, sans contester les dires des auteurs de livres sur les oiseaux d’Amérique du Nord. Mais quelque chose que je n’arrivais pas à préciser m’agaçait.

À la vérité, le Tarin des pins est unique. Il brise les codes. Il défie les lois connues. Il déstabilise. Il oblige à nous questionner. D’où vient qu’il est comme cela, et non comme la grande majorité des autres vivants de son espèce ? Il niche au hasard qu’importe l’endroit, ne montre pas de dates définies pour des migrations, il peut être « remarquablement familier » devant les humains. La vingtaine, parfois trentaine d’individus que j’ai pendant huit à dix semaines, partent soudain. Et ils reviendront dans quelques mois ou quelques années. À la fin de janvier 2016, en plein hiver, quatre-vingts rentrent soudain et demeurent jusqu’au début de juin. Aucune loi de la Nature ne les enferme. Ils sont maîtres de leur vie.

Cette impossibilité de les comprendre les rend fort attachants. Et uniques, bien sûr.

Pour montrer comment cet oiseau est difficile à saisir, il faut lire quelques lignes du texte de L. Nelson Nichols en 1923, membre de la Société linéenne de New York :

Quelqu’un a dit qu’un oiseau est fréquent lorsque vous pouvez connaître l’endroit où il niche. Le Tarin des pins niche de l’Atlantique au Pacifique, mais bien peu de personnes l’ont vu. La raison vient du fait que l’oiseau se tient dans les forêts de conifères en montagne, mais même là nous doutons de sa demeure. Une année, on pourra l’apercevoir en grandes bandes au sommet des montagnes et dans les vallées. L’année suivante, on n’arrive pas à trouver un seul d’entre eux dans tout cet endroit. (traduction de moi)

Someone have said that any bird is frequent enough to be common if you go where it breeds. The Pine Siskin breeds from Atlantic to the Pacific and yet very few people have ever seen the bird. The reason is that bird not only confines itself pretty closely to the evergreen mountain forests, but even there it is uncertain in its abode. One year it may be seen in large numbers about one group of mountain peaks and valleys. The next year not a Siskin can be found in the whole district.

Qu’était donc le Tarin des pins (Carduelis pinus, Pine Siskin) dans les temps encore plus anciens ? Voyons ce que dit de cet oiseau un des tout premiers grands ornithologues d’Amérique du Nord, Thomas Nuttall (1786-1859). Né en Angleterre, il arrive aux États-Unis en 1808 et, de 1825 à 1834, occupe les postes de maître de conférences en histoire naturelle et de responsable du Jardin botanique de l’université Harvard, à Boston. En 1832, il publie le premier de ses deux volumes de Manual of the Ornithology of the United States and of Canada, celui consacré aux oiseaux des champs.

Que peut-il dire du Tarin des pins ? Nous en connaissons franchement moins à son sujet que pour le Chardonneret jaune, écrit-il. Mon ami M. Oakes, de Ipswich, Massachusetts l’a vu en grand nombre dans son coin de pays en hiver. Son parcours est décousu [desultory] et imprévisible. Il aime particulièrement les graines de pruche. Il n’est pas du tout craintif et on peut l’approcher de très près sans qu’il prenne la poudre d’escampette, se promenant dans les branches aux alentours, y allant d’un chant un peu semblable à celui du Chardonneret jaune. En mars, il s’envole vers le nord. Mon ami Audubon les a vus en famille, avec leurs petits, au Labrador au mois de juillet. Ils fréquentent les fourrés près de l’eau et sont tout à fait sans peur et gentils. Leur costume est le même que celui en hiver, à l’exception du jaune plus apparent sur leurs ailes.

Manifestement, Nuttall n’en sait guère plus sur le Tarin des pins que nous aujourd’hui. On le constate, avant même d’anciennes observations ornithologiques, le Tarin des pins se comportait comme aujourd’hui et on arrive mal à savoir d’où lui vient cette confiance si grande et la vie fort originale qu’il mène.

Voyons une référence récente, québécoise celle-ci. 1995, alors qu’on appelle encore l’oiseau Chardonneret des pins.

L’oiseau se distingue par son nomadisme presque constant et par ses déplacements erratiques [Rivard et Bombardier]. S’il nous arrive ici en hiver, c’est peut-être à cause d’une baisse de la disponibilité des graines de différentes plantes et essences d’arbres dans la partie septentrionale de son aire de répartition. Alors qu’en hiver, il profite des postes d’alimentation mis en place dans les zones habitées, là encore sa présence n’est pas régulière d’une année à l’autre. Mais, au cours d’une même saison, il peut tout de même manifester une véritable assiduité à ces postes d’alimentation. Il est l’un des rares passereaux à avoir été observé la nuit à une mangeoire en hiver.

La population québécoise de l’espèce est peu connue ; comme elle est nomade et qu’elle ne se rencontre pas toujours dans la même région d’année en année, il est difficile de déterminer si ses effectifs ont changé au fil des décennies. […] Somme toute, on peut penser que le statut de Chardonneret des pins dans l’ensemble du Québec est aujourd’hui similaire à ce qu’il était jadis, sauf peut-être dans les basses-terres du Saint-Laurent où son déclin serait attribuable à la disparition des peuplements de conifères locaux et de plusieurs tourbières qu’il fréquentait sans doute autrefois. [Rivard et Bombardier : 1081]

Voilà donc que le Tarin des pins cache à nouveau son secret.

D’où vient qu’il soit ainsi ? Où a-t-il, acquis cette confiance incroyable en la vie et comment peut-il approcher l’être humain sans aucune crainte ? À mes yeux, cet oiseau, qui a tant voyagé dans des lieux et en des temps si différents, a vécu une très longue histoire qu’il a assurément réussi à mémoriser, de la même manière que chez les corneilles, se transmettant cette mémoire à chaque génération. Et, chemin faisant, d’une génération à l’autre, il en est venu à développer une grande assurance. Nous savons maintenant que tout vivant vient au monde avec une mémoire héritée de ses prédécesseurs. Il revient désormais à chaque individu de déployer cette mémoire et de l’enrichir d’un nouveau vécu. Rien ne se perd dans l’habitude. Le Tarin des pins est en mesure de distinguer un lieu agréable d’un lieu dangereux. En présence de l’humain, il ne s’enfuit pas sans raison comme le font la plupart des oiseaux non domestiqués. Il vit. Simplement. Et n’a sans doute pas besoin de se lancer dans de longues cogitations. Sa confiance est venue de la variété du son vécu, propre à lui et à ses nombreux ancêtres. Les Chardonnerets jaunes, m’apercevant, s’envolent immédiatement même s’ils savent depuis longtemps qui je suis, alors que le Tarin des pins fraîchement arrivé me laisse l’approcher de bien près. Il vient d’ailleurs lui-même à mes pieds sur la galerie.

Pour attirer cet oiseau, il faut un milieu non bruyant, de la nourriture à proximité, un bain pour qu’il s’abreuve et lui proposer du calme.

Le 14 juin 2016, j’ai vécu avec l’un d’eux une histoire incroyable, un moment exceptionnel dont je me souviendrai toujours.

Un jeune Tarin des pins, si petit, est par terre devant la galerie avant, dans les cosses de tournesol noir. Les quatre-vingts de ses semblables, présents depuis plus de quatre mois, étaient complètement disparus quelques jours plus tôt. J’ignore comment, le cœur battant, il s’était retrouvé là, lui, seul, immobile.

Je vais suspendre au larmier de la galerie un plein silo de tournesol noir. L’apercevant, je m’accroupis immédiatement, et, sans bouger, j’entreprends de lui parler très doucement du haut de la galerie. Il me regardait, ne partait pas, si petit. Après un moment, il marche lentement vers le pied de l’escalier un peu à l’écart. Puis, par petits bonds, s’ouvrant les ailes pour nourrir ses élans, il monte les deux marches, avant de se poser sur le palier. Où s’en va-t-il ainsi ?

Je suis toujours immobile, accroupi, tenant coincée à droite sur ma poitrine une mangeoire pleine, prête à être accrochée. Il s’approche. Mon index de la main gauche est vis-à-vis une des ouvertures de la mangeoire pour éviter que les graines ne tombent. Il me regarde et saute sur cet index, tout près de mon visage. Toujours les yeux vers moi, il attrape une graine, la tourne dans tous les sens, mais son bec n’est pas encore corné. Aussi la laisse-t-il tomber. En choisit une nouvelle. Même résultat. Cela dure longtemps. Et je continue de lui parler. « Est-ce que quelqu’un t’a déjà dit que tu es un cadeau ? » Il ne répond pas bien sûr. Et c’est le haut moment des insectes piqueurs, aussi suis-je dévoré. « Ne bouge pas, que je me disais, accepte ces piqures, ce moment est absolument unique. » Bientôt, le petit trouve une amande sans son enveloppe, et réussit en la mâchouillant à l’avaler un morceau après l’autre. Finalement, après une autre amande et une douzaine de minutes, le petit me regarde toujours, je ne cesse de lui parler et d’un petit bon descend sur la galerie, à mes pieds. Il regarde au loin à trois reprises, se tourne la tête à chaque fois vers moi, puis s’envole.

Ce jeune oiseau s’était bâti une confiance, je ne fus qu’une occasion. Six mois plus tard, un Tarin des pins solitaire est arrivé et s’est joint au groupe de chardonnerets. Je me suis demandé, bien sûr, si ça pouvait être lui. Mais, tout de suite, j’ai cessé de me poser cette question, n’ayant aucun moyen de vérifier.

Mais toujours ce petit être attachant demeurera quelque part caché dans mon cerveau.

 

Jean Provencher, Histoires naturelles, Montréal, Del Busso Éditeur, 2019, p. 110-120.

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