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Le poète et écrivain Hector de Saint-Denys Garneau, sur l’enfant et son jouet

Extrait de son journal personnel.

Avez-vous jamais remarqué la part extraordinaire du métaphysique dans la vie de l’enfant, la grande curiosité du pourquoi et de l’au-delà des apparences, par quoi il dépasse si souvent l’homme en qui se sont endormies ces questions ? L’attitude de l’enfant en face d’un jouet mécanique.

Il le fait d’abord marcher ; puis il le tourne et le retourne pour voir d’où peut bien venir ce mouvement, puis le met en pièces pour « voir » ce qu’il y avait vraiment à l’intérieur, de « l’autre côté » des parois. Il ne se fatigue de ce jeu destructeur qu’après qu’une expérience répétée lui a fait voir que c’est toujours la même chose, un ressort, des engrenages, toutes choses dépourvues de mystère et de sublime.

Et quand il a découvert, quand il connaît cela, son jouet n’a plus jamais le même attrait pour lui ; il est devenu une chose ordinaire, utile, dont il se sert pour ceci ou cela, et c’est dans ceci ou cela qu’il met maintenant son intérêt. Soit qu’il veuille imiter les activités des hommes, soit qu’il s’intéresse à un mécanisme, soit qu’il veuille faire à sa mesure, créer des aspects représentatifs de ce qu’il sent de la vie. Ils creusent de minuscules ruisseaux et s’impatientent de ce que l’eau n’y coule pas indéfiniment. Ils bâtissent des fortifications de sable où prennent lieu des combats héroïques.

Et puis avec quels yeux interrogateurs ils regardent les « grandes personnes » curieux de savoir quel secret se cache derrière leurs gestes.

Ah ! si les hommes conservaient cette inquiétude salutaire, cet éveil de la curiosité et cette sévérité aussi devant les jouets sur quoi se basent leurs vies ; et s’ils gardaient aussi une parcelle de cette indépendance et de ce clair désintéressement. Mais non ; ils sont attachés à leurs terribles jouets dangereux, et les détruire, ce serait se mettre eux-mêmes en danger, d’autant qu’ils n’ont conservé aucune liberté à leur endroit. Ils sont esclaves.

 

Saint-Denys-Garneau, Journal, Montréal, Beauchemin, 1963, p. 85s.

Les chevaux de bois furent photographiés à Expo Cité, à Québec, le 20 août 2009. Ils font partie d’un carousel propriété de Beauce Carnaval.

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