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« Au coin de la rue l’aventure »

Un jour, le romancier et essayiste Pascal Bruckner et le philosophe, écrivain et essayiste Alain Finkielkraut, publièrent au Seuil Le Nouveau Désordre amoureux (1977) et Au Coin de la Rue, l’Aventure (1979).

Questionnement sur nos vies quotidiennes. Qu’en est-il du couple ? Et sommes-nous conscients des « richesses » de la rue ?

Voici quelques extraits du second.

Il faut parier sur le hasard pour tous et non sur sa confiscation par quelques happy few.

La rue : c’est-à-dire l’ingouvernable, l’espace anarchique où surgit l’imprévisible, le décor de la rencontre aléatoire.

Peu importe en  définitive que le quotidien ait le dernier mot, que la grisaille recouvre la lumière : tous les temps n’ont pas la même valeur et seuls s’attachent à la mémoire, prennent force de récit, ceux en qui un peu d’éternité s’est déposée.

Nous voici tous voués à l’expérimentation de l’infime, conviés à devenir des aventuriers-minute (comme le cocottes du même nom). Bref, l’aventure et une certaine passivité sont faites pour pactiser et non pour s’exclure : admettre ce compromis, consentir à cette fragilité, c’est montrer comment l’événement nous crée, nous bouscule plutôt que l’inverse, c’est faire à notre liberté la part la plus grande, celle du hasard.

L’aventure, désormais, il faut la chercher à l’intérieur de ce réseau de dépendances, d’interdits et d’obligations qui constitue notre quotidienneté.

Lever l’ancre, c’est aller voir la banalité ailleurs et la vivre comme exception, les prestiges de l’inaccoutumé rehaussant les moments les plus ordinaires.

Voyageur, je ne suis ni le bâtard à la recherche d’une nouvelle ascendance, ni l’enfant prodigue répudiant sa famille, mais un solitaire, disponible, désoccupé qui circule pour duper le sort, oublier son image et se divertir de son moi. Le déplacement est une brèche qui irrigue l’individu, le dissout, l’échappée belle qui fait de lui un orphelin en état d’apesanteur, toujours suspendu entre deux fossilisations.

Il passe certaines nuits de pleine lune dans les grandes villes ensommeillées le mystérieux joueur de flûte, et ensorcèle si bien les habitants qu’il les jette tous, femmes, enfants, vieillards, voleurs ou banquiers dans la rue au-devant les uns des autres, avides de contacts, tout à la gratuité de l’heure et du lieu. Même les rats sortent de terre et fraternisent avec les chats sur le pavé humide qu’arpentent les milliers de noctambules enivrés par cette musique qui sait capter mieux qu’une autre le vent de l’éventuel. Puis quand revient l’aube le son aigrelet du fifre s’évanouit au loin dans les faubourgs et va porter ailleurs sur d’autres places la bonne nouvelle de la folie urbaine et des lendemains joueurs.

 

Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut, Au Coin de la Rue, l’Aventure, Paris Éditions du Seuil, 282 pages.

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