« Rimeurs, Rimes et Rimettes »
[Louis] Fréchette nous montre, dans ses « Originaux et Détraqués », un type du nom d’Aubin, qui ne peut dire deux phrases sans leur accoler des rimettes. Le conteur a peut-être chargé son sujet. C’est son droit.
Mais on rencontre certainement chez le peuple de ces esprits toqués de la rime, qui sans connaître aucune des lois de la versification, prétendent écrire des vers. Leurs rimettes n’auront jamais les honneurs de l’Anthologie, mais elles n’en sont pas moins intéressantes parfois. C’est surtout leur air bon enfant qui en fait le charme.
Le rimeur populaire dit le plus souvent ses vers. Mais il aime aussi les écrire sur les murs. Quoi qu’il choisisse l’endroit le plus saillant, il est très rare qu’il ait la vanité d’y apposer sa signature. Il ne lui fait rien que l’effort de sa pensée devienne la propriété commune du public.
Notre amusement fut vif, l’autre jour, en apercevant dans un tramway deux quatrains gravés dans le frimas des vitres. D’abord une réflexion philosophique sur l’amour :
Aimer est facile,
Le dire est autant.
Le plus difficile
Est d’être constant.
Sur la glace voisine, le rimeur s’était montré un peu plus personnel :
Wilfrid est mon nom,
Canada ma nation.
Montréal mon séjour,
Aurore mon amour.
Si Aurore reste insensible à un amour qui s’affirme avec tant de conviction devant tout le monde, elle a un cœur de pierre. Mais Wilfrid ne serait pas le premier rimeur malheureux. N’a-t-on pas vu Laure repousser l’amour de Pétrarque ?
Et pendant que nous évoquions ainsi Fréchette, Aubin, Laure et Pétrarque, le tramway avançait toujours et nous en descendîmes, sans trop avoir senti sa froide température, ni la longueur du trajet.
La Compagnie du Tramway devrait faire écrire plus souvent des rimettes dans les vitres de ses voitures.
La Patrie (Montréal), 29 février 1908.