Voilà Tolstoï dans le quotidien montréalais La Patrie
Étonnante cette présence du grand écrivain.
Dans un quotidien de la métropole. Le Québec n’est donc pas du tout coupé du monde. Extraits.
On sait qu’une des plus belles théories du grand écrivain russe Tolstoï est la nécessité du travail manuel pour tous.
On n’ignore pas non plus que Tolstoï n’a pas hésité à mettre en pratique ce qu’il prêchait aux autres et longtemps on a vu ce grand seigneur pousser la charrue comme un simple moujik dans ses terres d’Yasnaïa Paliana.
Depuis quelques mois, cependant, Tolstoï a abandonné les travaux des champs.
Un de ses disciples écrivait dernièrement au vieux maître pour lui demander à la suite de quelle évolution il a renoncé à vivre d’après les principes qu’il prêchait.
Voici la très belle réponse de Tolstoï :
« Loin de répudier mes théories au sujet de la nécessité de pourvoir à nos besoins par le travail manuel, je sens mieux que jamais l’importance capitale de ce devoir et je reconnais humblement la faute que je commets en ne l’accomplissant point.
Il y a bien des raisons qui m’empêchent de travailler et la première de toutes c’est ma faiblesse physique qui est, assurément, le plus grand de mes défauts.
J’ai la consolation de penser que, si je mène une vie répréhensible, du moins je me l’avoue à moi-même. Je n’essaye pas de me justifier en prétendant que mes travaux philosophiques et littéraires me dispensent du travail manuel.
Au contraire, je reconnais que, si je sens moi-même le besoin d’écrire un livre, l’homme qui travaille pour moi peut sentir en sa conscience le même besoin. Si moi-même je peux écrire un bon livre, il y a des centaines d’hommes qui écriraient des livres excellents s’ils n’étaient pas esclaves d’un travail incessant.
Je reconnais donc ma faute et j’en souffre. Aujourd’hui seulement je me rends un compte exact des joies simples et fortes que procure le travail manuel parce qu’il ne m’est plus permis.
La Patrie (Montréal), 8 mars 1904.
Léon Tolstoï a 75 ans au moment de cette lettre.
L’autre jour j’étais à lire Jeunesse de Tolstoï et je pensais à vos chroniques quand je parcourais cet extrait:
Vous est-il arrivé de vous étendre pour dormir en été, l’après-midi, par un temps sombre et pluvieux? En vous réveillant au coucher du soleil, vous ouvrez les yeux et apercevez, dans le carré de la fenêtre qui semble s’élargir, derrière le store de toile qui en se gonflant frappe de sa baguette l’appui de la croisée, un côté de l’allée de tilleuls humide de pluie et plein d’ombre violettes et le sentier mouillé du jardin éclairé par les rayons obliques du soleil; vous prenez conscience soudain de la vie allègre des oiseaux du jardin et surprenez les insectes qui voltigent dans l’ouverture de la fenêtre, translucides sous le soleil; vous sentez l’odeur de l’air après la pluie et songez: “N’est-il pas honteux d’avoir manqué pareille soirée en dormant?“ Vous sautez rapidement à bas de votre lit pour aller dans le jardin participer à la joie de vivre.
L’émoi suscité par la contemplation de la nature est un sentiment universel. C’est aussi en quelque sorte un voyage dans le temps.
Dieu que je vous remercie, cher Monsieur Labrecque, pour ce fort beau texte ! Je suis dans Simone Weil, en ce moment, une femme audacieuse ô combien exigeante dans ses réflexions, toujours pour elle-même, car ce sont ses Carnets. Et votre texte repose. Merci beaucoup !
Et je tombe à l’instant sur cette question que pose Simone Weil : Quel est le secret que le nature est sur le point de dire, quand on la regarde comme on regarde une statue grecque ?