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«À mon amie. Avant que nous rentrions…»

 

Je ne connaissais guère Francis Jammes (1868-1938) originaire de Tournay, dans les Hautes-Pyrénées. Mon ami Jean vient de me le faire découvrir. Quel poète ! Un bonheur de le lire. Sa langue est si simple et tellement sentie. Et baignée dans tant de respect et de tendresse. En voici une idée :

Avant que nous rentrions, nous nous promenâmes.

Il me semblait que nous tenions un bouquet d’âmes,

et nous disions des mots qui nous faisaient nous taire.

La nuit pure coulait dans l’eau du torrent vert

et, sur les pics, flottaient des nuées immobiles

pareilles aux nuées de quelque vieille bible.

 

Une bonté d’amour faisait pencher ta tête;

je ne sais quoi de grave et de grand comme un poète

faisait nos cœurs pareils à de la vérité.

Nous hésitions longuement et lentement à rentrer,

sachant que nos bras nus devaient s’ouvrir ensemble,

sans une hypocrisie et sans timidité.

 

Plus douces que des orphelines qui ont chanté,

les âmes des étoiles blanches et tristes priaient.

Tu me disais des choses délicieuses que l’on a dites.

Tu me disais : « Tu es un tout petit enfant. »

Et ta voix se traînait sur ces mots, détachant

Les syllabes et disant « Un-tout-pe-tit-en-fant. »

 

Je te disais : nous sommes allés à la même école,

quand tu avais quatre ans. N’est-ce pas que c’est drôle ?

Et tu relevais la tête et tes yeux noyés de douceur

me donnaient un regard qui me buvait le cœur.

« Petit ami », me disais-tu, « que c’est calme ! »

Et nous nous taisions, ne sachant plus nos âmes…

 

Nos deux corps se sont fondus comme des pêches

brûlantes de soleil sur un même pêcher.

Tu disais : « Cette nuit n’a été qu’un baiser…

« C’est fou. » Et quand, soûls d’amour,

le jour parut, tu dis : « Que vient faire le jour ? »

 

Tes dents mordaient mes dents et me brisaient la bouche…

L’aube tremblait sur ton profil presque farouche.

Je te disais : tais-toi ! quand tu ne disais rien.

 

Puis nous sommes sortis dans la campagne fraîche.

Nous nous sommes assis sur un mur ébréché.

 

Sur la montagne immense un oiseau criait.

Nous avions peur qu’il ne fût triste à ainsi crier…

Et moi je te disais, pour calmer ton doute :

la mère de l’oiseau qui crie ainsi, comme toutes

les mères des oiseaux, va lui apporter à manger.

« Tu crois » me disais-tu, et tu me souriais.

 

Et nous avons marché, et t’ai donné à boire

De l’eau de source avec nos lèvres ensemble.

Tu as crié : « Qu’elle est fraîche ! Oh ! qu’elle est fraîche ! »

 

… Alors il plut. La pluie courait sur la montagne.

C’était la pluie qui fait rêver les villages,

la pluie au bruissaillement tendre et léger,

la pluie qui teinte, la pluie qui pleure du soleil,

la pluie qui arrose les clairs arcs-en-ciel,

la pluie qui fait courir et frissonner les poules.

Et nous fîmes attention à la boue…

 

Nous sommes rentrés doucement pour déjeuner

et, à table, nous nous sommes disputés

sérieusement, et tu as failli pleurer

que je n’admette pas une de tes idées…

 

Tout cela pour, plus tard, retomber dans nos bras nus,

et pour recommencer des caresses où tu

pâlissais dans la lourdeur de tes beaux cheveux.

 

Maintenant, tu es loin, amie. Mais je veux

que ces vers que liront quelques lointains amis

fassent qu’ils t’aiment un peu sans te connaître

et que, s’ils passent un jour sous la fenêtre

de cette chambre douce où nous nous sommes aimés…

ils ne sachent point que c’est là…

 1897.

 

Francis Jammes, De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir, 1888-1897, préface de Jacques Borel, Paris, nrf Gallimard, 1971.

Merci cher Jean, de ce bien beau cadeau.

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