Contribution à une histoire de l’araignée
Si jamais bête de la création est restée indifférente devant nos faits et gestes, nos projets, nos agitations, nos soucis, nos espérances et nos joies, c’est bien cette ouvrière du coin obscur, l’araignée.
Nous lui avons cependant fait un grand honneur en la plaçant au rang des prophètes. Elle paraît, et soudain nous pâlissons ou nous frémissons d’aise.
L’araignée ne comprend pas du tout; si elle comprenait, elle rirait bien de notre bêtise. En attendant, elle ne comprendra jamais comment il se fait que nous l’écrasions le matin, que nous l’évitions à midi et que nous la prenions le soir, délicatement, entre l’index et le pouce afin de lui éviter tout accident.
Robert Bruce, lui, avait vu en elle le symbole prophétique de son triomphe, c’est-à-dire de son avènement au trône de l’Écosse; aussi l’entourait-il de grands égards et ne la rencontrait-il jamais sur son chemin sans lui adresser un sourire reconnaissant. Cela prouve que l’araignée est un personnage devant lequel les têtes couronnées elles-mêmes se sont inclinées avec respect.
L’astronome Lalande n’éprouvait pas un respect bien superstitieux pour les araignées; ils les mangeait avec délices et en avait, dit-on, toujours un certain nombre dans sa boutonnière pour les offrir aux dames.
L’histoire ne dit pas si ces dames acceptaient de lui faire plaisir.
Voilà l’explication la plus plausible des idées superstitieuses dont on entoure ces vilains êtres velus :
L’araignée fournit un moyen de pronostiquer le temps. Sa filandière ne sort jamais par les matinées où la rosée est abondante, ce qui généralement est un signe de beau temps; au contraire, on l’aperçoit dans sa toile par les matinées sèches et sans rosée, ce qui est un signe non moins certain de pluie prochaine : araignée du matin, chagrin.
On remarque, de même, que dans les soirées chaudes, et tranquilles, l’araignée sort volontiers en observation dans sa toile, afin d’y saisir les insectes qui, dans ces conditions d’atmosphère, voltigent en grand nombre, présageant ainsi un beau lendemain : araignée du soir : espoir.
Les araignées sont laides, à peu d’exceptions près. Cependant, il faut reconnaître qu’elles nous enseignent, par leur façon de tendre leurs toiles, que l’homme gagnera son pain à la sueur de son front et que celui qui ne veut pas tisser ne mérite pas de manger.
Le vieux poète Dubartas a raison de dire que :
La seule araignée instruit chacun de nous,
Et du soin de l’épouse et du soin de l’époux.
Apprenons à «tisser» comme l’araignée, et non comme des conspirateurs. Apprenons à «filer» comme des vers à soie et non comme des caissiers infidèles. Apprenons des animaux la sagesse, la prévoyance, la persévérance et cent autres vertus qu’ils possèdent mieux que nous et ne leur demandons pas de prophétiser l’avenir.
Le Sorelois, 23 novembre 1886. L’hebdomadaire de Sorel fait sa une avec cet article.
Et vous savez, l’araignée pense, est capable d’établir des rapports, de faire des liens. Voici ici cette histoire étonnante. J’avais aussi échappé ce billet en mars dernier.