Pilote de navire sur le Saint-Laurent à la fin de novembre
Nous savons que ce sont des pilotes québécois qui mènent les navires sur le fleuve Saint-Laurent jusqu’à Pointe-au-Père en aval de Rimouski dans l’estuaire. Or, la convention veut que la navigation cesse le 25 novembre.
Qu’en est-il passé cette date, que les bouées ont été enlevées dans le fleuve et qu’un dernier navire doit quitter Montréal pour Londres, mais que la brume est vraiment trop dense. Un pilote doit-il craindre ? Le journaliste de La Patrie en rencontre un fort expérimenté. Découragé ? Non. «Les marins, voyez-vous, sont habitués aux retards causés par le brouillard ou les gros temps.»
Notre reporter a eu un court entretien avec le pilote Louis Z. Bouillé, de Deschambault.
— C’est donc vous, M. Bouillé, qui allez fermer la navigation ?
— Oui, et j’espère conduire le «Lake Michigan» à bon port.
— N’avez-vous pas quelques inquiétudes, maintenant qu’on commence à enlever les bouées, et que la température est si peu favorable ?
—Pas le moins du monde. Il n’y a pas lieu de craindre la glace, ni la collision avec un autre steamer, car le «Lake Michigan» sera le seul à sillonner les eaux du fleuve.
Quant à la glace, il n’y a aucun danger de ce côté-là. L’eau est aujourd’hui à la température de 43, tandis que la température de l’air est à 34. Il est donc improbable que, d’ici à une semaine, la température varie au point de former un pont de glace.
Nous aurons de la brume, mais il n’y a rien qui presse pour arriver à Québec. Si nous ne pouvons avancer, nous jetterons l’ancre, voilà tout.»
Le capitaine dit que s’il faut une semaine pour descendre à Québec, nous la prendrons.
«J’ai eu une expérience beaucoup plus difficile en 1887, alors que je conduisais, cette année-là, le dernier paquebot de la saison.
Parti de Montréal, le 22 novembre, avec le «Pomeranian», nous avons pris six jours à faire le trajet de la métropole à la vieille capitale [de Montréal à Québec].
Le pont de glace était déjà formé, et nous avons été obligés de jeter l’ancre à Contrecœur, Sorel, au port St-François, à Batiscan et au Cap Santé.
Le remorqueur «Spray» était attaché aux flancs du paquebot, et on s’en servait pour aller à terre transmettre des nouvelles à la ligne Allan [la compagnie propriétaire du navire] et au public en général.
Le peuple était inquiet sur notre sort, et il ne manquait pas de gens qui nous prédisaient un désastre complet.
Le thermomètre était descendu à 9 et même 10 degrés au-dessous de zéro. Constamment, sur la passerelle, le capitaine et moi, vous vous imaginez si nous avions froid.
C’était la première fois, je crois, qu’un steamer descendait le fleuve dans des circonstances aussi difficiles.
Le «Pomeranian» n’avait subi aucun dommage, et nous arrivions à Québec sains et saufs. Presque toute la population était accourue sur les quais pour nous souhaiter la bienvenue et nous féliciter de «n’avoir pas péri, corps et bien», comme ils nous le disaient.»
La Patrie (Montréal), 29 novembre 1905.
Wow ! Superbe comme témoignage ! Une semaine pour faire Montréal à Québec… c’était vraiment une autre époque . Merci de nous sortir ces anecdotes toujours très intéressantes. Dans mes recherches pour mon livre des Bateaux-phares (qui est maintenant en librairie) j’ai constaté que la météo et la formation de la glace sur le fleuve se faisait beaucoup plus tôt qu’aujourd’hui. Je suis curieux de ces changements climatiques alors je me suis acheté dernièrement le livre ; « Sous les cieux de Québec, météo et climat, 1534-1831 » par Yvon Desloges aux Éditions Septentrion. J’ai bien hâte d’avoir le temps de lire ce livre et comparer la météo d’aujourd’hui et celle de cette époque.
Cordiales salutations
Jean Cloutier
Pilote du bas-Saint-Laurent
Merci infiniment, cher Jean. Bravo pour votre nouveau livre !
Bonne quête sur l’histoire de notre climat.
Bon vent dans le bas-Saint-Laurent
Bien cordialement.