Comment ne pas revenir sur le bonheur de la Terrasse à Québec (premier de quatre billets)
On n’aura jamais assez chanté la Terrasse à Québec. En octobre 1902, Cléophe propose au quotidien Le Soleil de revenir comme tant d’autres sur cette terrasse magnifique surplombant le grand fleuve. Voici, en quelques billets «Les soirées de la Terrasse. Réminiscence d’été».
Avant que la neige n’ait chassé de la grande Terrasse de Québec la dernier des promeneurs solitaires qui y vont braver le vent de Nord-Est, ce serait de l’ingratitude de pas donner au moins un petit mémento aux heures de ravissement que nous y avons tous ensemble passées pendant la belle saison.
Chose certaine, ces spectacles crépusculaires de notre Terrasse n’ont rien de banal. Est-il dans le monde entier une seule ville qui ait une plus admirable promenade à offrir à sa population ! Les voyageurs recueillent leurs souvenirs de Naples, de Nice, etc., et répondent qu’il y a peut-être aussi beau quelque part, mais plus beau nulle part.
Naturellement, un peu blasé par la jouissance quotidienne de ces merveilles, nous les apprécions moins au moment de la possession qu’à la veille d’en être sevrés pour six mois. Il ne s’en doute guère, le bon bourgeois de Québec qui descend tous les matins à son bureau de la Basse-Ville; mais les visiteurs étrangers qu’il croise dans la côte Lamontagne le regarde comme un être de prédilection [sic].
Ces jardins suspendues, ces maisons bâties les unes sur les autres, ces raides montées, ces escaliers, ces carrefours, ces pavillons chinois, ces tours et ces minarets perchés au sommet du promontoire, ces surprenantes échappées de vue au coin de chaque rue, tout cela prend à leurs yeux des formes romanesques. Quels heureux mortels habitent ces lieux ! semblent-ils se dire; leur état d’âme doit être un enchantement continuel, leur existence un poème en prose !
L’arrivée à Québec est une escalade, une montée d’étonnements en étonnements. Le crescendo ne se terminera que le soir, lorsque, des fenêtres du Château Frontenac, le touriste verra accourir sur la Terrasse toute la population en état de porter les armes pour trotter son mille, ce qui est bientôt fait, la promenade mesurant juste 1450 pieds de longueur.
L’autre jour, un journaliste américain désignait l’endroit sous le nom de «Terrasse du Château». Tout à fait shakespearien ! Hamlet et Macbeth et la Terrasse font partie de la pension de M. Hayter Reed. Ainsi l’entendent sans doute les pensionnaires, car après dîner les dames s’échappent tête nue hors de l’hôtel, pour partager avec les naturels du pays le songe d’un soir d’été, toujours comme dans Shakespeare !
Le Soleil (Québec), 27 octobre 1902.
La photographie de la terrasse Dufferin prise par Herménégilde Lavoie en 1944 est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds ministère de la Culture et des Communications, Office du film du Québec, Documents iconographiques, cote : E6mS7, SS1, P23968.
La suite : demain.