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Une femme laide est-elle moins heureuse qu’une belle femme ?

Lise Roy

Vous savez comme j’aime Françoise, de son vrai nom Robertine Barry (1863-1910), la première femme journaliste québécoise, originaire de L’Isle-Verte. Ses écrits, fort variés, abondent sur ce site. Durant les années 1890, elle tient une chronique hebdomadaire dans le quotidien montréalais La Patrie. Ses propos sont toujours tellement sensés. On constate aujourd’hui qu’ils vieillissent fort bien.

Ici, à la vue d’une très belle femme, une comédienne, Miss Lillie Langtry, née Émilie Charlotte Le Breton, dans l’île Jersey, elle se demande si cette dernière a des avantages que n’a pas celle moins jolie. Extraits.

Nul ne saurait le nier, la puissance de la beauté est extraordinaire. Jamais on ne pourra exagérer l’empire qu’elle exerce sur les âmes. […] Il y a quelques semaines, je suivais avec intérêt une discussion très animée entre des correspondants d’un journal de Londres, relativement à cette question :

«Les femmes laides sont-elles moins heureuses que leurs sœurs mieux partagées de la nature ?»

Les collaborateurs, étant tous du sexe masculin, traitaient naturellement le sujet à leur point de vue. Il eut mieux valu sans doute laisser résoudre ce problème par les parties intéressées, bien que, d’un autre côté, on eut pu craindre un peu de partialité.

Par exemple, j’ai été assez étonnée, je l’avouerai, de lire que la plupart de ces messieurs ne tarissaient pas en éloges sur la femme laide. À peu d’exceptions près, on lui décernait la palme. À elle, l’égalité d’humeur, l’amabilité, la constance dans l’affection, la fidélité dans l’épouse et la plus chaude tendresse dans la mère.

Tout ceci est bien beau et n’est pas très juste; mais ce témoignage extraordinaire de la part d’un sexe adorateur de la beauté ne laisse pas que de surprendre. Il ne faudrait pas mettre à l’épreuve ces prétendus philosophes car l’on verrait que toutes ces sages théories cèdent bientôt devant l’irrésistible attrait d’un jolie visage.

Ce goût de la beauté est tellement naturel à l’homme que pour aimer une femme qui n’a pas reçu ce don, il éprouve comme le besoin de l’embellir d’abord dans son imagination. Ce sera même la mesure de son amour, puisque plus il l’aime, plus elle lui semble agréable aux yeux.

Cela ne doit pas étonner, car ce penchant a été mis en nous avec cet amour du grand et du beau qui marque la noblesse de notre origine.

Seulement, comme la femme est moins matérielle, elle ne fait pas passer cette admiration de la beauté physique avant toutes les autres considérations, et préfèrera chez l’homme le mérite intellectuel et moral à ses avantages extérieurs.

Celui-ci ne nous rend pas la même politesse et, pour les femmes, la laideur, c’est comme la pauvreté, ce n’est pas un vice mais une grande incommodité.

Un cynique dont j’ai recueilli l’opinion va plus loin encore et dit : «Un joli visage aide une femme partout : dans les affaires, devant les cours de justice, dans la société et au mariage». […]

Il ne se doute pas qu’il vient de vous signifier de sa manière la plus honnête que vous devez renoncer à toute autre prétention.

Et vous écoutez avec votre meilleur sourire en pensant pour l’excuser que ses intentions sont bonnes, bien que la forme en soit gauche, et vous cherchez à être reconnaissante de son appréciation, mais, tout au fond, une petite douleur fine et aiguë vient de vous mordre au cœur et, pendant quelques instants, que ne donneriez-vous pas pour posséder les charmes extérieurs de ces «jolies coquettes» dont on vient de vous parler……

 

La Patrie (Montréal), 15 avril 1895.

La photographie de la comédienne et interprète Lise Roy, prise en août 1951 par Gaby (Gabriel Desmarais), est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec dans le Vieux-Montréal, Fonds Gabriel Desmarais (Gaby), Portraits réalisés par Gabriel Desmarais (Gaby), cote : P795,S1,D123.

L’image de Lillie Langtry en 1885 apparaît sur la page Wikipédia qui lui est consacrée. Je me demande bien si cette Émilie, originaire de Jersey, n’avait pas des ancêtres acadiens, car un certain nombre d’Acadiens ont gagné les îles anglo-normandes après la déportation.

Parfois, je me demande s’il ne faudrait pas que je crée sur ce site interactif une catégorie «Beauté», mais les critères de beauté sont si variables. Où placer ce billet, par exemple ? Je n’y voyais qu’une catégorie de celles affichées : Amour-Amitié.

Lillie Langtry en 1885

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