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Troisième billet avec les apostilles de Robert Mallet

belle femme 27 juin 1906

 

L’amour, comme un chat, vient quand on ne l’appelle plus.

Pour ne pas s’épuiser, l’amour doit conserver le sens de l’épuisable. L’assurance de la durée absolue se supporte mal, et c’est elle pourtant que nous voulons acquérir. Ne l’acquérons donc pas une fois pour toutes. Distillons la certitude goutte à goutte dans le quotidien, avec l’inquiet mécanisme qui donne aux alambics toutes les chances de l’alcool.

Si le corps est la première patrie de l’homme, un geste altruiste universalise. L’amour allie pour un temps deux corps auxquels il donne le sentiment d’une même patrie qui serait à la fois la mieux personnalisée et la plus universelle.

On commence par lire des yeux l’autre. On continue à voix basse. On finit souvent à haute voix : on a besoin des échos de la matière pour être sûr des résonances en soi.

Le partage du soleil nous donne une ombre commune; et nous prive des mêmes lunes l’épousaille des sommeils.

Brume d’été, poudre d’eau sur un visage brûlant, délices des langueurs si floues après le feu physique de l’amour.

La caresse inoubliable est l’imprévue qu’à deux on rencontra dans une même invention.

Certains visages semblent avoir été modelés par d’habiles caresses, d’autres par des caresses maladroites, les autres n’ont jamais dû être caressés.

La main qui dégrafe un corsage dit déjà le respect et la ruse d’une âme.

La caresse digne de ce nom prend son temps; ni pressée ni paresseuse, elle oscille entre l’attouchement qui choque et le toucher qui lasse.

Que seraient les rivières sans les paysages qu’elles ont faits ? On les aime grâce à ce qui les borde, comme ces femmes dont nous plaisent les robes, la demeure, le métier. La nudité de leur corps et de leur esprit n’y suffirait pas.

Nous acceptons volontiers qu’une femme dise : «Je me plais» quand elle nous plaît : nous avons les mêmes goûts.

Elle savait se dénuder rien qu’en retirant ses gants. On ne prenait rien d’autres que ses mains, sur les rives permises de son regard, au cœur des eaux vives de sa voix.

 

Robert Mallet, Apostilles ou l’utile et le futile (Éditions Gallimard, 1972).

On trouvera ici les deux premiers billets sur les apostilles de Robert Mallet.

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