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«La société la plus saine de l’histoire de l’humanité»

bonhomme

Parfois, il me semble qu’il est rassurant de retourner aux écrits du biologiste américain Lewis Thomas (1913-1993). Jamais il ne s’est montré pessimiste. Toujours il s’émerveille devant la complexité des êtres vivants. À son sujet, j’avais eu ce billet, l’été dernier.

Je retourne à son ouvrage La méduse et l’escargot paru en 1980 chez Pierre Belfond à Paris. Extraits de ses dernières lignes.

Je crois que les principales maladies de l’organisme humain sont devenues autant d’énigmes biologiques susceptibles d’élucidation à plus ou moins long terme. Il en résulte qu’il est déjà aujourd’hui possible d’envisager une société humaine relativement libérée de la maladie. Cette idée, impensable voilà un demi-siècle seulement, prend, encore aujourd’hui, des allures apocalyptiques. Que devient la mort, dans tout ça ? Que ferons-nous de l’inévitable excédent démographique ? De quoi donc mourrons-nous, s’il n’y a plus de maladie ?

Je réponds que cela ne changerait pas grand-chose à cet égard. Nous continuerions de vieillir, de nous user au même rythme qu’aujourd’hui. Mais l’issue ressemblerait plus à l’effondrement subit de la fameuse carriole du diacre, d’Oliver Wendell Holmes.

La principale conséquence, purement bénéfique, serait que les maladies n’assombriraient plus les dernières années des gens âgées, comme elles le font trop souvent aujourd’hui. Nous pourrions devenir une espèce saine, d’une santé comparable à celle de tant de plantes et d’animaux domestiques que nous ne jugeons absolument pas extraordinaire aujourd’hui. La congestion cérébrale, la démence sénile, le cancer et l’arthrite ne sont pas des aspects naturels de l’humaine condition et nous devrions nous en débarrasser aussi vite qu’il est en notre pouvoir de le faire. […]

Évidemment, les maladies chroniques frappent aujourd’hui des vieillards plus nombreux, mais c’est le résultat de l’espérance de vie. À ma connaissance, aucune maladie nouvelle n’est venue remplacer la diphtérie, la variole, la coqueluche ou la poliomyélite. La nature étant inventive, nous devons nous attendre au surgissement éventuel d’une maladie nouvelle de temps à autre, mais certainement pas pour remplir je ne sais quel quota préétabli, prédestiné, des maladies humaines.

À vrai dire, les statistiques officielles de la morbidité et de la mortalité devraient nous en avoir convaincus si notre angoisse ne nous poussait pas à nier l’évidence. Le monde occidental est déjà devenu, sur pièces, la société la plus saine de l’histoire de l’humanité. Par rapport au siècle dernier — quand chaque famille pouvait s’attendre à perdre un ou plusieurs de ses membres dans leurs jeunes années — nous vivons dans un monde nouveau.

Au sein d’une famille jeune, un décès n’est plus un événement banal, c’est une catastrophe rare et d’autant plus épouvantable. Collectivement, notre espérance de vie est plus longue qu’elle n’a jamais été. Cette amélioration générale et progressive est due pour une part à l’hygiène, à l’amélioration de l’habitat, probablement aussi à l’élévation générale du niveau de vie. Mais une autre part, non négligeable, revient depuis quelques années à la science biomédicale. Nous ne nous en sommes pas mal tirés du tout, et, au vu de ces premiers résultats, je ne vois pas pourquoi l’on ne prévoirait pas de faire encore mieux à l’avenir.

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