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Rencontre avec le peintre Maurice Cullen

cullen recolte de la glace

En décembre 1904, le peintre Maurice Cullen (1866-1934) expose à l’Art Association, au square Philips, à Montréal. Le journaliste de La Patrie va à la rencontre du peintre, où sont exposées certaines de ses toiles.

C’est dans la grande salle, au premier à gauche, que les toiles ont été accrochées au mur en ordre de bataille. Le reporter n’aperçoit personne tout d’abord; à l’autre bout de la salle, seuls, des grands yeux étonnés de tout ce qu’ils reflètent, et reportent ensuite sur la toile. Les deux yeux, très étonnés de constater un visiteur, s’avancent, et peu à peu le reporter aperçoit au-dessous un bouche qui bientôt se met à bredouiller à peu près ceci :

— Vous voulez voir les tableaux de M. Brimner, c’est par ici, il y a des choses très intéressantes…

— Sans doute, sans doute, mais je voudrais bien aussi voir un peu les vôtres, M. Cullen.

Les yeux s’arrondissent comme des cadrans, la bouche bredouille encore plus, je crois même que M. Cullen rougit ma parole, comme une petite fille. Très timide, M. Cullen, car c’est lui, les deux yeux étonnés et la bouche bredouillante. N’importe, le reporter se hasarde tout seul dans l’imposant silence de la grande salle au parquet ciré.

De loin, les grands yeux suivent, quant au reste de l’individu il demeure sur place — près des tableaux de Brimner — où nous retournerons tout à l’heure.

Disons tout de suite que Cullen est un peintre canadien qui peint des paysages canadiens. Oh ! il est bien allé comme le premier rapin venu, en France, en Italie, en Espagne, en Algérie, en Tunisie, en Tripolitaine et au Maroc, mais, étant né au Canada, il aime le Canada. Aussi expose-t-il des paysages canadiens.

Cullen, véritablement, est le peintre de la neige, de la neige livide sur le soir, rutilante au soleil comme un semis féérique de pierres précieuses, de la neige glauque par les jours de «froid noir».

À remarquer des vues de Québec et de Lévis sous la neige qui donnent bien l’impression qui se dégagea du poème de Dante, à son dernier cercle de l’enfer. Un peu plus loin, c’est une rivière couverte de glace. Vers le bord, un trou, une cassure dans la glace. Le tableau, tout simple, est pourtant poignant. N’est-ce pas là, dans ce trou qu’est disparu le pauvre petit dont on parlait hier, ou dont on parlera demain ?

Certes, si Cullen bredouille en parlant, il ne bredouille, ni n’hésite quand il fait de la peinture. C’est à larges coups de brosse que sont faites ses peintures qui dégagent une impression de mélancolie intense. À les voir, le mot joli ne vient pas sur la lèvre, car rien n’est plus loin du joli, que le beau qui empoigne.

 M. Brimner n’est pas un inconnu du public artiste. Sa réputation est depuis de longues années solidement assise et à bon goût.

 M. Brimner expose cette semaine une série d’œuvres très intéressantes. La couleur chante dans ses toiles, ses têtes (Femme en rouge, Le Jeune Chasseur) sont également très intéressantes et mériteraient sûrement une appréciation que l’espace exigu qui nous est réservé nous force à ajourner.

 

La Patrie (Montréal), 10 décembre 1904.

La récolte de la glace de Cullen, peinte vers 1913, est déposée au Musée des Beaux-arts du Canada. On peut apercevoir la toile sur la page Wikimedia suivante.

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